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Sur la mort de Voltaire

Épigramme sur la mort de Voltaire1
Dieu fait bien ce qu’il fait : La Fontaine l’a dit ;
Si j’avais cependant produit un si grand œuvre,
Voltaire eût conservé ses sens et son esprit,
Je me serais gardé de briser mon chef-d’œuvre.

Celui que dans Athène eût adoré la Grèce
Et qu’à Rome, à sa table Auguste eût fait asseoir,
Nos Césars d’aujourd’hui n’ont pas voulu le voir2 ,
Et monsieur de Beaumont lui refuse une messe.

Oui, vous avez raison, monsieur de Saint-Sulpice,
Eh ! pourquoi l’enterrer ! n’est-il pas immortel ?
A ce divin génie on peut, sans injustice,
Refuser un tombeau, mais non pas un autel.

  • 1Voltaire mourut le 28 mars : « Ceux qui n’avaient pas eu le pouvoir de s’opposer à son triomphe lui refusèrent une place au milieu des tombeaux du peuple parisien. L’un de ses parents, conseiller au Parlement, enleva son corps et le porta rapidement dans l’abbaye de Scellières, où il fut inhumé avant que le curé du lieu eût reçu la défense de lui donner la sépulture, défense qui lui arriva trois heures trop tard. Sans le zèle de cet ami, les restes mortels de l’un de nos plus grands hommes et de celui dont la gloire remplissait le monde n’auraient pas obtenu quelques pieds de terre pour les couvrir. Malgré tous les efforts du clergé, des magistrats et de l’autorité, qui défendirent pour quelque temps au théâtre de jouer les pièces de Voltaire et aux journaux de parler de sa mort, Paris fut inondé d’un déluge de vers, de pamphlets et d’épigrammes, seules armes dont l’opinion pût se servir pour venger cet outrage fait à la mémoire d’un homme qui avait illustré sa patrie et son siècle. De tous ces écrits, celui qui me frappa le plus alors fut une pièce de vers composée par la marquise de Boufflers, mère de ce chevalier de Bouffflers, le Chaulieu et l’Anacréon de notre temps. » (Mémoires du comte de Ségur.) (R)
  • 2« Madame de Bouffflers par un de ces vers, en parlant des Césars, faisait allusion à l’empereur Joseph II. Ce monarque était venu en France l’année précédente, sous le nom de comte de Falkenstein… Passant près de Ferney, il dédaigna de voir Voltaire. On blâma également, avec raison, et l’indifférence de la puissance pour le génie et la faiblesse du grand poète et du philosophe dont l’amour‑propre parut trop sensible à cette légère blessure. » (R)

Numéro
$1447


Année
1778

Auteur
Mme de Boufflers



Références

Raunié, IX,160-61 - F.Fr.13652, p.536 - Comte de Ségur, Mémoires, souvenirs et anecdotes, tI. I, p.121 - CSLP, VI, 356-57


Notes

La première strophe ($2730) et la troisième ($5724) se rencontrent aussi isolées. Il est d'ailleurs probable que les trois n'ont pas été composées pour former un ensemble.