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Bastonnade de Voltaire

Bastonnades de Voltaire
Entre Voltaire et son valet, dit-on,
Un point fâcheux se trouvait à débattre :
Combien de fois, là, de coups de bâton
Avez reçu ? Le poète avorton
Lui dit : Deux fois. – Me semble que c’est quatre,
Dit Tiriot. Or, comptons sur nos doigts.
Où fûtes-vous pour la première fois
Endoctriné ? – Dans une synagogue
Où des rabbins, pantomime indiscret,
Je me jouai de leur culte secret.
Mais Tiriot, pressant le dialogue,
Je sais encore, dit-il, que sans égard
Le bâton haut vous traita Beauregard.
Des mots hardis où s’exhale la joie,
Des traits piquants pris au sacré vallon,
Coups de bâton sont souvent la monnaie.
Même l’on dit qu’aux enfants d’Apollon
Tels traitements sont bien de patrimoine.
Dans ton calcul, Monsieur le raisonneur,
Compris le choc du quartier Saint-Antoine,
Ce serait donc trois fois à la rigueur ?
– Non, non, Monsieur, je n’en puis rien rabattre,
Ce n’est pas là mon compte assurément,
Et j’en ferais plutôt le supplément ;
Je n’en enfle point ; c’est tout au moins quatre.
C’est bien assez d’en taire la façon.
Oubliez-vous l’affaire de Poisson ?
Bien est-il vrai que pour auteur tragique
Ce ne sont pas de nobles incidents.
– D’accord, répond le rimeur frénétique,
Mais en tel cas l’offense fut modique.
Ce coup n’avait porté que sur les dents,
Et jusque là pour l’honneur de la scène,
Thalie encore respecta Melpomène.
Vous voilà donc, répartit Tiriot,
Plus méprisé que n’est un idiot.
Que ne suis-je, moi, porteur d’eau d’Hippocrène.
Pour tout effet de vos traits hasardeux
De vos larcins et de vos vers postiches,
Vous n’êtes plus qu’un fantôme hideux,
Moulu de coups et lardé d’hémistiches.

 

Numéro
$4274





Références

F.Fr.12654, p.155-60 - F.Fr.15017, f°5r - F.Fr.20036, p.314-16 - Lille BM, MS 65, p.295-97