Epître de Voltaire à Mme la Dauphine
Épître de Voltaire à Madame la Dauphine
sur le séjour de Leurs Majestés à Marly
Souvent la plus belle princesse
Languit dans l’âge du bonheur.
L’étiquette de la grandeur
Quand rien n’occupe et n’intéresse
Laisse un vide affreux dans le cœur.
Souvent même un grand roi s’étonne,
Entouré de sujets soumis,
Que tout l’éclat de sa couronne
Jamais en secret ne lui donne
Ce bonheur qu’il s’était promis ;
On croirait que le jeu console,
Mais l’ennui vient à pas comptés
A la table d’un cavagnole
S’asseoir entre deux majestés ;
On fait tristement grande chère
Sans dire et sans écouter rien
Tandis que l’hébété vulgaire
Vous assiège, vous considère
Et croit voir le souverain bien.
Le lendemain quand l’hémisphère
Est brûlé des feux du soleil,
On s’arrache aux bras du sommeil
Sans savoir ce que l’on va faire.
De soi-même peu satisfait,
On veut du monde, il embarrasse ;
Le plaisir fuit, le jour se passe,
Sans savoir ce que l’on a fait.
Ô temps ! Ô perte irréparable !
Quel est l’instant où nous vivons ?
Quoi ! la vie est si peu durable
Et les jours paraissent si longs !
Princesse au-dessus de votre âge,
De deux cours auguste ornement,
Vous employez utilement
Le temps qui si rapidement
Trompe la jeunesse volage ;
Vous cultivez l’esprit charmant
Que vous a donné la nature,
Les réflexions, la lecture,
En font le plus bel agrément,
Et son usage et sa parure.
S’occuper, c’est savoir jouir,
L’oisiveté pèse et tourmente,
L’âme est un feu qu’il faut nourrir
Et qui s’éteint s’il ne s’augmente.
Clairambault, F.Fr.10718, p.21-22 - F.Fr.13659, p.261 - F.Fr.13659, p.261 -F.Fr.15151, p.295-98 - Arsenal 3133, p.315-16 - BHVP, MS 580, f66v - BHVP, MS 703, f°288r-288v - Barbier, IV, 279