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Nouveau tran-tran sur l'air ancien

Nouveau tran-tran sur l'air ancien1

Traiter de la philosophie

Sans avoir le sens commun,

Vouloir parler théologie

Sans en avoir principe aucun,

Traiter Pascal d'atrabiliaire

Et vouloir combattre son plan,

C'est un tran-tran-tran-tran-tran-tran2

Au jésuite3 ordinaire.

 

Dans une épître abominable

Renverser la religion,

Dans une lettre détestable

Donner une âme à la matière,

Et mettre la nôtre au néant

C'est le tran-tran etc.

De Lock et son secrétaire4 .

 

Du petit-fils du grand Gustave

Vouloir retrancher les exploits,

En faire un fou qui n'est que brave,

Lui donner partout sur les doigts,

Tirer de Czar son adversaire5

Le plus beau trait de son roman,

C'est le tran-tran etc.

De l'auteur plagiaire.

 

Aux bons auteurs faire la guerre

Pour se mettre seul sur les rangs,

Par ses pièces dans un parterre

Payer des applaudissements

Pour qu'elles ne tombent pas par terre,

Puis en sortir fier comme un paon

C'est le tran-tran etc.

Aux rimeurs ordinaire6 .

 

Tirer mille écus d'une pièce

Qui n'en valait pas quatre-vingts,

À son seul ami faire pièce

Pour un malheureux pot de vin,

En agir avec son libraire

Comme un escroc, comme un tyran7 ,

C'est le tran-tran etc.

D'un auteur mercenaire.

 

Après avoir pris sur la scène

Avec Melpomène l'essor,

Venir commercer sur la Seine

Et vendre du blé sur le port,

Mettre en vrai commissionnaire

Son grain et ses vers à l'encan8 ,

C'est le tran-tran etc.

D'un lord imaginaire9 .

 

Duper le monde en Angleterre,

Faire même chose à Paris,

Attraper maint et maint libraire

En vendant dix fois ses écrits,

Refuser un juste salaire

Jusqu'au plus pauvre artisan,

C'est le tran-tran etc.

Aux escrocs ordinaire.

 

Pour vendre un livre détestable

Dont on doit encore les dépens,

Par un projet abominable

Vouloir perdre des innocents,

D'un valet rogner le salaire,

Leurrer l'hôte avec un cadran

C'est le tran-tran etc.

Aux Normands ordinaire10 .

 

Dans un poème pis qu'idolâtre

Se jouer du Ciel et des saints,

Le faire paraître sur un théâtre

Pour mieux nous cacher ses desseins,

Soudoyer un pensionnaire

Pour de nous faire un grand cancan

C'est le tran-tran etc.

D'un Tartuffe ordinaire.

 

Prôner une femme galante

Comme le phénix d'aujourd'hui,

La donner pour une savante

Qui lit Lock, Clarck et Maupertuis11 ,

Faire avec la docte commerce

Ce que Mars fit au dieu Vulcain,

C'est le tran-tran etc.

Au Parnasse ordinaire.

  • 1Autre titre : Brevet accordé par Momus à l'auteur de la Lettre sur Lok avec un nouveau trantran sur ce sujet (F.Fr. 12706)
  • 2L’‘ancien trantran’ était une chanson jouée à la foire de Bezons le 2 octobre 1735, et publiée par le Mercure de France du même mois,
  • 3Serait une allusion aux bons rapports que Voltaire  entretiendrait avec les jésuites, ses anciens maîtres au collège Louis-le-Grand.
  • 4Allusion évidente à l'Épître à Uranie et à la Lettre sur Locke.
  • 5Allusion satirique à l'Histoire de Charles XII, roi de Suède, parue en 1731, première étude historique de Voltaire.
  • 6Réflexion dépitée de Piron, auteur dramatique toujours vaincu dans sa rivalité avec Voltaire sur la scène du Théâtre-Français.
  • 7Allusion malveillante à la querelle de Voltaire avec l'imprimeur Jore, éditeur des Lettres philosophiques, qui lui réclamait un complément financier pour ses frais d'impression.
  • 8Piron fut toujours jaloux de la réussite financière de Voltaire qui en effet avait su spéculer sur les grains.
  • 9Voltaire, séjournant à Rouen pour y faire publier les Lettres philosophiques, s'était dissimulé sous le masque d'un lord anglais.
  • 10Evocation de diverses malversations prêtées à Voltaire, que Piron a trouvées dans le factum rédigé par Jore contre son ancien client.
  • 11Contrepied –  qui n'est pas illustré par le seul Piron – des éloges emphatiques que Voltaire a multipliés en faveur de la marquise du Châtelet.

Numéro
$4536


Année
1736

Auteur
Piron (Attribution argumentée d' Antony McKenna)



Références

1 Clairambault, F.Fr. 12706, p. 97-102 (imprimé) -Maurepas, F.Fr.12634, p.129-32 -  F.Fr.12655 , p.243-47 - Mazarine Castries 3986, p.224-28 -  Lille BM, MS 65, p. 335-40, (imprimé) - Lyon, BM, ms.754, f.172r-174v.  Autres références signalées dans la Lettre sur M. Locke, Voltaire OC, 6C, p.267 : BnF, Ye-16260 ; Ye-9327.


Notes

Suite de $4166. Les deux poèmes sont regroupés dans la présentation de Voltaire OC, 6c, p.267-278. On ne peut que renvoyer à cette très remarquable édition, qui propose un commentaire très détaillé des deux textes.