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Les Roués

Les roués1
De Louvois2 suivant les leçons3 ,
Je fais des chansons et des dettes !
Les premières sont sans façon,
Mais les secondes sont bien faites.
C’est pour échapper à l’ennui
Qu’un homme prudent se dérange.
Quel bien est solide aujourd’hui ?
Le plus sûr est celui qu’on mange.

Eh ! qui ne doit pas maintenant ?
C’est la chose la plus constante ;
Et le plus petit intrigant
De cent créanciers se vante.
En vain ces derniers sont mutins :
Jamais leur nombre ne m’effraie ;
Ils ressemblent fort aux catins,
Plus on en a, moins on en paye.

Le courtisan doit sa faveur
A quelque machine secrète :
La coquette doit sa fraîcheur
A quelques heures de toilette.
Tout s’emprunte, jusqu’à l’esprit ;
Et c’est, dans ce siècle volage,
Ce qu’on a le plus à crédit
Et ce qui s’use davantage.

Mais avec un peu de gaîté
Tout s’excuse, tout passe en France ;
Dans les bras de la volupté
Comment songer à la dépense ?
Vieux parents, en vain vous prêchez,
Vous êtes d’ennuyeux apôtres :
Vous nous fîtes pour vos péchés,
Et vous vivez trop pour les nôtres.

  • 1« Les vices d’autrefois sont les mœurs d’aujourd’hui, a dit je ne sais lequel de nos auteurs modernes. Il aurait bien raison s’il fallait juger de nos mœurs par la chanson sur les Dettes. Croyons, pour l’honneur du poète, qu’il a voulu employer l’ironie pour corriger la façon de penser de certaines gens… L’immoralité révoltante du dernier couplet a été corrigée par un de nos jeunes seigneurs (M. de Montesquiou), en substituant les vers suivants aux deux derniers : Rappelez-vous vos vieux péchés / Vous serez plus doux pour les nôtres. (Correspondance secrète de Métra.) (R)
  • 2Nous avons déjà transcrit précédemment quelques chansons du marquis de Louvois, l’un des plus aimables et des plus spirituels roués de son temps pour lequel Champcenetz, son ami et son émule, fit plus tard cette épitaphe flbatteuse : Ci-gît qui possédait dans ce siècle stérile / Le cœur de Lovelace et l’esprit de Piron. / En charmant la pudeur, il la rendit facile, / En chansonnant le vice, il le rendit poltron. (R)
  • 3Voici de nouveaux couplets attribués à M. de Champcenets, peignant assez bien nos roués de cour et de ville. Le dernier contenant une plaisanterie atroce contre les pères, aurait été bien propre à mettre le sien en colère et le porter à l’acte de violence exercé envers son fils. Ces couplets, au nombre de quatre, sont sur l’air : On compterait les diamants. (Mémoires secrets, 21 janvier)

Numéro
$1560


Année
1785

Auteur
Champcenetz (marquis de) ?



Références

Raunié, X,168-69 - Mémoires secrets, XXVIII, 49-50