Aller au contenu principal

Les Poissonnades

Les poissonnades1
Les grands seigneurs s'avilissent,
Les financiers s'enrichissent,
Tous les Poissons s'agrandissent2 ,
C'est le règne des vauriens ;
On épuise la finance
En bâtiments, en dépense ;
L'État tombe en décadence ;
Le roi ne met ordre à rien, rien, rien, rien

Une petite bourgeoise,
Élevée à la grivoise,
Mesurant tout à sa toise,
Fait de la cour un taudis ;
Le Roi, malgré son scrupule,
Pour elle follement brûle ;
Cette flamme ridicule
Excite dans tout Paris, ris, ris, ris.

Cette catin subalterne
Insolemment le gouverne,
Et c'est elle qui décerne
Les honneurs à prix d'argent ;
Dcvant l'idole tout plie,
Le courtisan s'humilie ;
Il subit cette infamie,
Et n'est que plus indigent, gent, gent, gent.

La contenance éventée,
La peau jaune et truitée,
Et chaque dent tachetée,
Les yeux fades, le col long,
Sans esprit, sans caractère,
L'âme vide et mercenaire ;
Le propos d'une commère,
Tout est bas chez la Poisson, son, son, son

Si dans les beautés choisies
Elle était des plus jolies,
On pardonne les folies
Quand l'objet est un bijou ;
Mais pour si mince figure
Et si sotte créature
S'attirer tant de murmure,
Chacun pense le Roi fou, fou, fou, fou.

Il est vrai que pour lui plaire
Le beau n'est pas nécessaire ;
Vintimille sut lui faire
Trouver son grouin gentil3  ;
On croit aussi que d'Estrade4 ,
Si vilaine, si maussade,
Aura bientôt la passade.
Elle en a l'air tout bouffi, fi, fi, fi.

  • 1 utre titre: Sur Mme de Pompadour (F.Fr.10478) - Cette chanson fut attribuée, avec juste raison, au comte de Maurepas, qui s’était déclaré l’ennemi de la marquise dès le commencement de sa faveur, soutenu en cela par le Dauphin, la Reine et le théatin Boyer, directeur de la feuille des bénéfices. Maurepas en est désigné comme l’auteur dans les Mémoires apocryphes qui portent son nom. Le coupable en cette affaire ne pouvait être qu’un courtisan, ainsi que Collé l’a judicieusement observé : « On m’a donné des couplets qui courent sur Mme de Pompadour ; de six, il n’y en a qu’un de passable. On voit bien, au reste, qu’ils sont faits par des gens de la cour, à leur négligence et à leur malignité ; la main de l’artiste n’y est pas, et d’ailleurs il faut que ce soient gens qui vivent à la cour, pour savoir quelques particularités qui sont dans ces couplets. » Mais ce n’était point Maurepas, et Collé lui-même l’a constaté dans une note de son journal : « M. de Pont de Veyle est l’auteur de ces couplets, qui furent la cause de la disgrâce et de l’exil de M. de Maurepas, qui y avait mis son grain de sel, et chez lequel ils furent faits à souper. M. de Pont de Veyle fut obligé quelque temps après, de se démettre de sa place d’intendant des chasses, qu’il n’exerçait pas et qui lui valait 25 000 livres. Encore eut-on la sotte bonté, quand il fut chassé, de lui conserver une pension de mille écus sur cette place. Telle était la faiblesse de Louis XV. » (R)
  • 2On veut parler ici de Mme de Pompadour et de son frère M. de Vandières. (M.) (R)
  • 3Mme de Mailly, marquise de Vintimille. (M.) (R)
  • 4Nièce de M. Le Normant de Tournehem (M.) (R)

Numéro
$1059


Année
1749

Auteur
Pont de Veyle



Références

Raunié, VII,135-37 - Clairambault, F.Fr.12719, p.47-49 - F.Fr.10478, f°304r-305r - F.Fr.15153, p.61-65 - NAF.9184, p.551-52 - BHVP, MS 550, f°73v - Toulouse BM, MS 861, p.236-38 - Collé, I,49-50 - Barbier-Vernillat, III, 143-44