Arrière-ban de l'Eglise militante du Régiment
Arrière-ban de l'Église militante du Régiment
Clément neuf par la providence
Du créateur de l'univers,
Chef de mille peuples divers,
À tous ceux qui liront ces vers,
Soumis à notre puissance
Salut. En plénière indulgence,
Après que, par notre clémence
Nous avons établi la paix
Dont jouit l'Église de France,
Ce qui ne finira jamais
Par le pouvoir apostolique
Dont la plénitude est en nous
Voulons qu'à nos pieds, dans notre basilique,
La milice ecclésiastique
Vienne se prosterner par un arrière-ban,
Pour de là nous suivre dans Crête
Où notre tiare décrète
D'aller triompher du turban.
Nous choisissons pour généraux
Nos bons frères les cardinaux,
Gens fondés en expérience,
Gens qui ne font rien qu'à propos
Et dont l'infaillible science
Fait aux plus forts tourner le dos.
Nous nommons pour leurs lieutenants,
Les évêques, ces braves gens
Qui n'aiment pas la résidence.
L'on sait comme ils sont vigoureux,
Et combien leur vaste puissance
Met tous les jours des gens sous eux.
Pour leurs aides de camp, nous choisissons sans brigue
Les évêques in partibus,
Gens de modique revenus
Et qui sont faits à la fatigue.
Tous les abbés commendataires
N'auront aucun commandement
Mais ils marcheront seulement
En qualité de volontaires.
Les chanoines, ce peuple gras,
À qui l'air amollit les bras,
Ces fainéants farcis de bisques et de soupes,
N'étant pas propres aux combats
Les nommons aumôniers de nos troupes.
Les curés seront officiers
Et leurs vicaires brigadiers ;
Ils mèneront les séminaires
Comme troupes auxiliaires.
Les Pères au petit collet,
De qui les mines si béates
Et le naturel si douillet,
Quitteront leurs collets pour prendre cravates
Car n'étant ni poisson ni chair
Mais une recrue amphibie
Ils viendront par mer et par terre
Donner du secours à la Candie.
Les jésuites, soldats fougueux,
Seront les dragons de l'armée ;
Mais parce que leur feu tourne souvent en fumée
Il sera bien pour eux
De servir sous la discipline
Du grand archevêque de Sens,
De qui la conduite aussi forte que fixe
Tiendra toujours dans le devoir
Ce régiment bizarre et noir.
Les bénédictins moins riches,
D'ailleurs hommes d'épargne et chiches,
Qui pour avoir du bien plus que suffisamment
N'en vivent pas plus grassement,
Sont mis par nous en exercice
De trésoriers de la milice.
Nous ne jugeons pas que les carmes
Soient propres à porter les armes,
Ainsi nous jugeons à propos
Réglant leur emploi sur leur mine,
De les commettre à la cuisine
Comme vivandiers gros et gras.
Les capucins dans nos milices
Se mêleront avec les suisses,
Les picpus, les barbons
Porteront tous des hallebardes
Et les récollets, bons garçons,
Seront du régiment des gardes.
Les cordeliers, moines dodus,
Qui frapperont d'estoc et de taille
Nous les mettrons dans la bataille
Au nombre des enfants perdus.
Les Minimes, ces gens huilés,
Seront bons canonniers peut-être
Car ils sentent fort le salpêtre ;
Les jacobins inquisiteurs
Feront punir les déserteurs ;
Les Augustins, gens sans souci,
Pourront monter sur notre flotte
Car ces gros moines, Dieu merci,
Ont l'humeur assez matelote ;
Les Maturins, à beaux deniers
Rachèteront les prisonniers ;
Les Chartreux auront soin des mines ;
Les Prémontrés et les Feuillants
Et tous les autres moines blancs
Nous entretiendront de farines.
Les Pères de la Mission
Qui sont toujours en action,
Troupe aux courses accoutumée
Seront les courriers de l'armée.
Les ermites, gens séparés,
Dans les déserts retirés,
Se joindront au cap de fidèles
Pour y servir de sentinelles ;
Les Théâtins seront passe-volants1 .
Mais pendant que les Gens d’Église2
Enrôlés sous nos étendards
Pour une si sainte entreprise,
Seront exposés aux hasards,
Nous exhortons les gens du monde
À montrer leur vertu féconde,
Réparant par Vénus les désordres de Mars.
Lille BM, MS 65, p.368-75 - BHV, MS 551, p.284-87 avec nombreuses variantes et fin originale - BHVP, MS 599, f°31