Contre Sophie Arnould
Contre Sophie Arnould1
Vieille serinette cassée,
Cadavre infect, doyenne des p…
O toi, dont la gueule édentée,
Vomit à grands flots les venins
De ta langue pestiférée,
Oses-tu bien, dans ton b… d’esprit
(Où préside avec toi cet avocat proscrit
Par la justice et par sa compagnie2
),
Déchirer ce grand homme, ami de Polymnie,
Qui nous peignit Orphée, Alceste, Iphigénie,
Que tout l’univers applaudit3
.
De la fable serpent maudit,
Tu mors une lime endurcie
A la chaleur qui réfléchit
Le feu pétillant du génie ;
Ces trois chefs-d’œuvre, en dépit
Des serpents de ta jalousie,
Ne craignent point ta dent pourrie
Et leur auteur qui te défie
Brave ta cabale, et se rit
Des efforts de ta noire envie
O toi ! dont les accents animent nos concerts,
Poursuis, aimable Rosalie4
,
Unis ces dieux qui charment l’univers,
Celui des arts et celui d’Idalie,
Jouis de leurs douces faveurs ;
Séduis nos yeux, nos oreilles, nos cœurs ;
Laisse crier ta jalouse ennemie,
Tes talents font son désespoir
Et du Temps qui la fait déchoir,
Bientôt, sur sa tête blanchie,
La faux terrible appesantie
N’offrira plus aux regards indignés
Qu’un squelette hideux, une horrible furie,
Pleurant, au déclin de sa vie,
Les maux affreux qu’elle a gagnés,
Dont saint Côme et sa casserole
N’ont jamais pu bien nettoyer
Son profond et large foyer,
Où tout Paris attrapa la v…5
.
- 1« Mlle Arnould n’était point jolie ; sa bouche déparait son visage, ses yeux seulement lui donnaient une physionomie où se peignait l’esprit remarquable qui l’a rendue célèbre. » (Mémoires secrets.)
- 2L’avocat Linguet. (M.) (R)
- 3Le chevalier Gluck. (M.) (R)
- 4La demoiselle Rosalie Levasseur, première chanteuse de l’Opéra et maîtresse de l’ambassadeur de l’Empereur, le comte de Mercy‑Argenteau, avait obtenu, au préjudice de Sophie Arnould, le rôle d’Alceste, dans l’opéra de ce nom représenté pour la première fois le 23 avril. Cette faveur lui avait été accordée sans peine par l’auteur de la musique le chevalier Gluck, qui logeait chez elle. Sophie Arnould prit mal la chose : Elle a plaisanté sur sa rivale, disent les Mémoires secrets, elle a ameuté toute sa cabale contre elle, et c’est ce qui a enfanté du côté de Rosalie une satire atroce et dégoûtante contre la demoiselle Arnould, qui ne mériterait pas de produire la moindre sensation dans un autre lieu que les foyers de l’Opera, et entre deux autres émules que deux catins. Mais les nombreux partisans de ces impures donnent de la vogue à cette facétie pitoyable. (R
- 5ette pièce fut composée par Guichard. Métra nous apprend que Mlle Arnould eut l'esprit de la rendre publique. (R)
Raunié, IX,98-100 - F.Fr.13652, p.425-26