Remerciement des filles de joie aux demoiselles de la Comédie française
Remerciement des filles de joie aux demoiselles de la Comédie française sur la protection que ces dernières viennent de leur accorder à l’occasion de la comédie de Courtisanes1 .e
De la scène française augustes héroïnes,
Ô vous, reines des arts, déesses des talents,
Vous dont l’aéropage a jugé dans leur temps,
Les Corneilles et les Racines,
Recevez nos remerciements.
Un rimeur insolent s’était donc mis en tête
D’immoler notre honneur à sa malignité.
Il comptait sur votre art pour égayer la fête ;
Nous jouer, quelle atrocité !
Quoi ! vouloir en public prouver en plein théâtre
Que le public est fou quand il vous idolâtre !
Oser dire aux seigneurs que nous les ruinons !
Tracer de nos boudoirs les chroniques profanes,
Et du vil nom de courtisanes
Flétrir de nouvelles Ninons.
Éclairer un amant sur nos fraudes hardies
Et des couleurs du vin enlaidir nos appas !
Au jeune homme aveuglé montrer nos perfidies,
Et l’avilissement qui s’attache à nos pas ;
Au nom des mœurs et de la gloire
Rappeller notre siècle à cet honneur gaulois
Qui n’existe que dans l’histoire
Des vieux préjugés d’autrefois ;
Vanter l’hypocrite grimace,
Et pour corriger notre audace,
Mettre le ridicule à la place des lois !
Fronder nos [ill.] prendre au pied de la lettre
Cet espoir insensé de réformer nos mœurs
De rendre les Français et plus gais et meilleurs !
Mais comment peut-on se permettre
Tant de sottise et de noirceur !
Vous avez eu raison, Mesdames, de produire
Ce drame dont l’affreux succès
Aurait deshonoré le Théâtre-Français.
Thalie a pu soumettre à sa [ill.] satire
Les sophistes du temps et même les dévots,
Tous les états enfin livrés à de bons mots,
Mais rire à nos dépens, ah ! c’est un [ill.] délire !
Ill.] Préville a très bien pensé
Que [Ill.] de nos soeurs en serait trop blessé,
Et c’est de votre part un trait de politique
D’interdire la scène à cet auteur comique
Quel désordre en [ill.], quel trouble dans l’État !
Quel étrange mépris des lois fondamentales !
Si vous n’eussiez pas craint de jouer des vestales,
Fidèles comme vous aux vœux du célibat.
Vous sentez qu’un tel attentat
Vous accusait soudain d’un bégueulisme austère,
Faisait rayer vos noms du tableau de Cythère,
Et qu’en vous séparant de nous,
Des filles de Vénus la noble compagnie,
C’était pour se venger de cette ignominie
De communiquer avec vous.
Grâce à votre déesse, on ne pourra plus médire [ ?]
Aux privilèges de notre ordre ;
Si l’on prescrivait jamais de les trahir,
Ah ! n’ayez pas du moins la honte d’obéir.
Armez alors vos cœurs d’une fierté romaine.
Désertez les tréteaux, abandonnez la scène,
De dépit tout à coup refusez de parler
Pour la cause commune il faut nous immoler.
De cet esprit de corps nous avons tant attendu [sic]
Mettez pour mieux vous signaler
Votre pudeur à nous défendre
Et nous mettrons pour vous le rendre
Notre gloire à vous ressembler.
- 1La querelle de Palissot avec la Comédie a donné lieu à la pièce de vers suivante qu’on lui a attribuée généreusement, mais que je crois d’un M. François de Neuchâteau, son ami. Il paraît que ces messieurs feraient de bonnes méchancetés s’ils avaient plus d’esprit et de talent (Suard) - Voici à bon compte des vers d Palissot à nos comédiennes à propos de ce refus (Correspondance secrète)
Suard, CL, p.862-63 - CLS, 1775, p.123-24 - Correspondance secrète, t.I, p.312-13)