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Requête du curé de Guyencourt au chapitre de l'église Notre-Dame de Paris

Requête du curé de Guyencourt au chapitre

de l’église Notre-Dame de Paris

À Nosseigneurs de Notre-Dame

Santé du corps, santé de l’âme ;

À quelques-uns un évêché,

À d’autres un bon prieuré,

À ceux-ci meilleure abbaye,

Et à trestous fort longue vie.

Un curé proche de la cour

D’un lieu qu’on nomme Guyencour

D’un cœur soumis, d’un air honnête

Vous présente cette requête ;

Vous disant que ses paroissiens

Sont plus les vôtres que les siens.

Car, Messieurs, ne vous en déplaise

Vous avez leur dîme à votre aise,

Du moins la plus forte portion.

Si quelqu’un vous disait que non,

Examinez votre recette,

C’est un article assez honnête ;

Pour moi, curé, grâces à Dieu,

J’ai la bonne dîme du lieu,

Je veux dire toute la peine.

Pendant six jours de la semaine

Je cours à cinq ou six hameaux

Sans équipage et sans chevaux.

Le dimanche je fais le prône,

Souvent c’est moi qui carillonne.

J’ai pour moi les confessions,

Catéchismes, processions,

Saint Marc et les Rogations,

Les premières communions,

Les réconciliations,

Et cent autres brimborions,

Le matin et l’après-dîner

Et tout le long de la journée.

Après tout, je ne m’en plains pas.

Nous ne devons pas être gras.

La graisse n’est que pour les moines,

D’autres disent pour les chanoines.

Ce n’est pas là notre embarras.

Non, non, Messieurs, voici le cas.

Plusieurs gens de notre paroisse

Viennent nous dire leur angoisse.

Ils se confessent fort souvent

De payer dîme en murmurant.

Nous avons beau gronder et dire

Que de tous les péchés le pire

C’est de payer dîme à regret,

Que c’est là le plus grand forfait ;

Que Dieu veut qu’on donne à l’Église

Gerbes et fruits qui soient de mise ;

Que la dîme vient de bien loin ;

Que la payer n’appauvrit point

Et cent raisons de conscience

Qui épuisent notre science.

Nous nous enrhumons vainement,

Car voici leur raisonnement

Que nous voudrions bien résoudre :

Fournissez-nous du moins la poudre.

« J’allons, disent-ils, à Paris

Et je mettons nos biaux habits

Pour aller droit à Notre-Dame ;

Et je prions Dieu pour notre âme,

Et puis après je devisons ;

De haut en bas je regardons.

Grand Dieu ! quel’beautés magnifiques !

Que de chasses ! que de reliques !

Quel grand nombre de joyaux !

Que d’ornements ! que de tableaux !

Que de superbes tapiss’ries !

Que de chapelles, que d’autels !

Que de cierges, que de missels !

Quel sarpent [sic], quel"bande bacchique

De tous ces gens à la musique [sic] !

Je ne voyons qu’or et argent,

Ce n’est ma foi pas du clinquant.

Mais où tout le monde apostrophe,

C’est quand je voyons S. Christophe.

Quand ce saint-là serait tout nu

N’aurait-il pas du superflu

De son seul corps ; sans sa chemise

L’on pourrait en faire une église.

Quand par le portail je sortons,

Je voyons des saints à millions,

Des tours comme des citadelles,

Où l’on monte bien sans échelles,

Des cloches claires comme argent,

Grosses comme un moulin à vent ;

En fin finale rien n’y manque,

Tout y reluit comme à la banque.

Hélas, Monsieur, quand je venons

À Guyencour et que j’entrons

Le dimanche dans notre église,

L’an n’y voit rien que soit de mise,

Pas même notre Saint Victor

Que j’avons mis en couleur d’or.

Le bâton que portent nos filles

Ne nous paraît plus que guenilles ;

Point de tableaux, point d’ornements,

Ni chandeliers, ni croix d’argent,

Pas la moindre tapisserie,

Point de chasubles en broderie,

Point de marbre sur notre autel,

Nos saints semblent Polichinel.

Hélas, notre pauvre bannière

Épouvantail à chennevière,

N’est plus que pièces et morceaux

De deux couleurs comme un bedeau ;

Et par dessus tout notre chaire

Semble un siège d’apothicaire.

J’avions des livres de plain-chant

Qui n’avaient que cent et un ans ;

Voilà Monseigneur l’archevêque,

Plus sage que ne fut Sénèque,

Qui vient de les mettre au rabais

Pour en plier du beurre frais.

Çà, comment allez-vous donc faire,

Et sans missel et sans bréviaire ?

Notre très savant magister

Savait le vieux comme son Pater ;

A présent ce n’est plus qu’un âne

Qui n’a plus rien dedans le crâne.

Tenez, Monsieur notre curé,

je sommes tous à l’A B C,

Sans qu’on sache quel moyen prendre

Pour le nouveau pouvoir apprendre,

Car il faudrait beaucoup d’argent

Pour nous mettre en nouveau plain-chant.

Voilà, ma foi, ce qui nous ronge,

Comptez, Monsieur, quand on y songe

Qu’on ne donne pas de bon cœur

La dîme au gros décimateur.

Et après tout, serait-ce un crime

De retenir un peu de dîme

Pour le bon Dieu de ce pays ?

Car si le grand Dieu de Paris

Donnait ce dont il n’a que faire,

Le nôtre aurait son nécessaire.

Pourquoi faut-il qu’il soit tout nu

Quand l’autre a tant de superflu ?

Je voyons bien que l’on nous triche,

Puisque le pauvre donne au riche.

Si Messieurs les décimateurs

Nous donnaient des livres de chœur,

Bonnets, chasubles, aubes, nappes,

Des surplis, tuniques et chapes,

Cordons, parements, linges vieux,

Je ne sommes pas glorieux :

Je porterons les fêtes doubles

Ce qu’ils n’estiment pas deux doubles.

Que s’ils ne veulent donner rien

Je pensons que je ferons bien

De ne pas payer dîme entière,

De retenir pour le bréviaire,

Pour les livres à prier Dieu,

Et puis pour rajuster un peu

Saint Victor. Eh, mort de nos vies,

Ne sont-ce pas là œuvres pies ?

J’avons, ce nous semble, raison.

Baillez-nous l’absolution. »

Voilà, Messieurs, toute l’affaire.

Je voudrais bien les faire taire,

Mais ces gens-là crient si fort

Qu’on ne saurait leur donner tort.

Prêtez-moi, s’il vous plaît, votre aide.

À ce mal voici le remède.

Donnez-nous ce qui ne sert plus :

Un peu de votre superflu

Fera tout notre nécessaire.

Donnez au curé le bréviaire,

Au chantre un antiphonier,

Au magister quelque psaultier ;

Donnez à notre sacristie

Ce qui ne vous fait plus d’envie,

À notre autel quelques tableaux

Qui vous paraîtront les moins beaux,

Enfin toute autre bagatelle

Dont nous laissons la kyrielle

À vos nobles réflexions,

Et pour vous alors nous prierons,

Et de grand cœur nous chanterons

Les psaumes, hymnes et répons,

Versets, capitules, leçons

Et très dévotes oraisons,

Et pour cela nous choisirons

Les plus beaux tons que nous saurons.

Et qui plus est, nous payerons

Bien les dîmes de nos moissons.

                 Amen.

 

Numéro
$4449


Année
1737




Références

Maurepas, F.Fr.12634, p.191-98 - 1754, VI, 56-62 - F.Fr.13662, p.2r-5r - F.Fr.15148, p.392-405 - Arsenal 2964, f°15r-18v - BHVP, MS 659, p.368 (15 premiers vers)


Notes

Textes longs