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Le Merle blanc. Fable allégorique

Le Merle blanc
Fable allégorique
Un merle, il n’avait pas le noir caparaçon
Qui du lugubre d’Argenson
Enlumine la prud’homie.
Dans les campagnes d’Hibernie
Il est, dit-on, des merles blancs.
Notre merle en était, merle dont le courage
S’est distingué par maint et maint voyage,
Voir les autres oiseaux à son seul nom tremblant
D’autant plus glorieux aux yeux de la cohorte
Qu’il en revint estropié,
Merle sans bec, merle sans pied
Sur les autres merles l’emporte.
C’est le droit commun du blason
Notre merle était un Jason.
Il venait d’outremer pour comble de merveilles.
Il avait en plus d’un endroit
Pensé laisser son nez et ses oreilles,
Grand préjugé d’un personnage adroit.
Il l’était certes, on peut m’en croire,
On le verra par cette histoire.
Sous les auspices d’un vautour,
Tyran d’une abondante plaine,
Sur le sommet du plus superbe chêne
Sire merle fixa sa course et son séjour.
Venez, dit-il, aux oiseaux d’alentour,
Accourez tous à ma boutique,
On vous y donnera, que donne-t-on encore ?
Feuilles de chêne pour de l’or.
D’abord il eut peu de pratique
Hormis la grue et l’étourneau
Qui donnèrent dans le panneau ;
Le reste de la gent volante
Se méfiait du charlatan :
Qu’il garde son orviétan,
Tant s’en faut qu’il me tente.
Merle tint bon, il savait plus d’un tour,
Merle sonnait de la trompette,
Il battait même le tambour,
Et du redoutable vautour
Il mouvait à son gré l’autorité secrète ;
En merle dessalé merle se conduisit ;
Il fit tant et voyez ce que de mieux il fit,
De l’étourneau qui déplorait sa chance
Et de la grue au minois déconfit
Il récompensa l’imprudence.
Pour lors le plus fin fut tondu
Et bientôt friand de la drogue
Tout le monde y courut comme au fruit défendu
Pour entrer dans son catalogue
Il fallut donner des placets
Chacun en fit, Cigogne et Philomèle,
Sa sœur Progné, la tendre tourterelle,
Oisons, perroquets, sansonnets,
Tous enfin, jusqu’à la cigale
Qui, séduite par l’ennemi,
Voulut s’inscrire aussi sur la liste fatale ;
Ainsi de mes leçons, dit la sage fourmi,
Cigale indiscrète et légère,
Par un coupable excès vous pouvez abuser ?
Faire des biens un emploi téméraire
Dites, est-ce thésauriser ?
Mais que sert la faible prudence
Où le torrent donne la loi ?
Feuilles de chêne je le crois
Ne valent pas la plus mince finance ;
Toutefois si la mode en arrivait en France
Je ne répondrais pas de moi.
Le merle et le vautour, enflés de leur adresse,
A leur tour cependant firent les renchéris ;
De la feuille de chaque espèce
Bientôt on augmenta le prix.
A tant, ainsi soit-il, tant encore, on le donne ;
Tant par dessus, tout le monde y consent.
La feuille valut mille pour cent ;
Elle valut davantage et personne
De s’en pendre ne trouva bon
Certain renard, politique barbon,
Jugea le tour être de la Garonne.
Nous sommes, dit-il, au printemps ;
La feuille est verte encore ; laissons venir l’automne.
Trop crédules oiseaux, c’est là où je vous attends.
Le prophète renard vécut assez longtemps
Por voir accomplir l’horoscope.
Quand se vint la saison où, de ses ornements
La nature se développe
On ne vit que feuilles aux champs.
On les foulait aux pieds au milieu de la plaine
Et les yeux du renard furent encore témoins
Que c’étaient les feuilles de chêne
Qu’on daignait ramasser le moins.

Que cet apologue t’éclaire,
Toi que de faux brillant sont peut-être ébloui.
Pour te désabuser d’un espoir téméraire,
N’attends pas toutefois l’automne de Louis :
Au moindre vent, agioteur, frémis.

 

Numéro
$3436


Année
1720




Références

Clairambault, F.Fr. 12697, p.271-74 - Maurepas, F.Fr.12630, p.97-100 - F.Fr.9352, f°85v-87v - NAF.9184, p.71-72 -  BHVP, MS 703, f°240r-241v


Notes

Une autre version proche en $5567 et une autre, complètement différente, en $0395