Sur l’assemblée du clergé au sujet du vingtième
Sur l’assemblée du clergé au sujet du vingtième
Certain corps qui se dit successeur des apôtres,
Sans être humble, équitable et désintéressé,
Ose ne pas vouloir payer comme les autres
L’impôt auquel il est taxé !
Il veut donner à titre libre
Ce que nous devons tous, prétend-il, forcément.
Français, souffrirons-nous qu’on rompe un équilibre
Fondé sur la justice et sur le sentiment ?
Ah ! périsse à jamais la distinction vaine
Dont veulent abuser des prêtres orgueilleux
Pour soustraire aux regards un brigandage affreux.
Membres d’un même État, unis sous son domaine,
Nous devons tous l’aider dans son besoin pressant
De nos bras ou de notre argent ;
Tous par devoir, nul par présent.
Notre patrie est notre mère ;
Nous en sommes tous les enfants ;
Notre monarque est notre père,
Il nous en doit le sentiment.
Faut-il récompenser, reprendre
Un citoyen, bon ou mauvais ?
S’agit-il d’orner, d’entreprendre
Des routes, des parcs, des palais ?
Est-il besoin de nous défendre
D’un ennemi qui veut nous enlever nos villes ?
Comme un père dans sa famille
Qui cherche incessamment son bien-être ou l’honneur,
Louis a droit, soit pour notre splendeur,
Soit pour notre commun bonheur
D’exiger que chacun pour sa part contribue
À seconder ses utiles desseins.
Comment l’entendez-vous, troupe un peu trop connue,
Grands du clergé, petits humains ?
D’où vient, pour la chose publique,
Par une suspecte pratique,
Paierions-nous un droit quand vous ferez un don ?
Espèce plus pécunieuse
Qu’il ne convient aux gens qui font profession de vivre
Détachés de toutes passions,
Race nombreuse, oisive, au royaume onéreuse,
Qui bornez vos travaux, au chant des oraisons,
Tandis que trop chargés pour vous nous travaillons.
Que votre âme se montre active et généreuse,
Plus que la nôtre, et nous vous laisserons
Sans jalousie offrir vos dons,
Au lieu des droits qu’au Prince en commun nous devons.
Mais quelles disproportions
Entre des mouvements si bons
Et ceux que nous vous connaissons.
Vous suivez dans vos actions
Toutes ces mêmes passions
Que vous frondez dans vos sermons.
Et c’est pour soudoyer leur cohorte honteuse
Que vous vous efforcez sous le nom le plus beau
De travestir en don un équitable impôt,
Ne chicanons point sur le mot.
Vos biens sont à l’État tout autant que le nôtre.
Il en peut disposer de même que des autres,
Au même titre, et c’est abus
Que de prétendre rien de plus.
Grand Roi, père de la patrie,
Songe que lorsque finement
Le corps des Prélats te supplie
De le laisser donner toujours gratuitement
Ce qu’il sait que tu peux exiger autrement,
C’est le serpent qui sous la rose
Cache sa marche adroitement ;
C’est l’ingratitude qui s’ose
Parer du nom de sentiment ;
C’est la mollesse qui s’oppose
À son anéantissement,
Le luxe effréné qui repose
Sous l’art d’un beau déguisement,
L’orgueil qui se métamorphose
Pour se fonder solidement,
L’avarice qui se dispose
À s’assouvir indignement,
L’injustice qui se compose
Pour régner plus cruellement.
Que sait-je enfin ? c’est tous les vices
Qui tremblants, consternés, unissent à la fois
Les plus séduisants artifices
Pour tromper tout l’Etat et le plus doux des rois.
F.Fr.10478, f°451r-453r - F.Fr.15154, p.66-73 - BHVP, MS 661, f°8r-50r