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L'Enterrement du Parlement

L’enterrement du Parlement1
On fait dire à toute personne
Que demain, vingt-six du courant,
Dans l’église de la Sorbonne,
On enterre le Parlement,
Suivi des plaideurs, des plaideuses,
Du grand Conseil, des gens du Roi ;
Les jésuites en pleureuses,
Accompagneront le convoi ;
Beaumont2 fera les funérailles,
Malgré sa profonde douleur ;
Et la musique de Versailles
Chantera la messe en grand chœur.Le dévot Poncet3 , si célèbre
Par son zèle pour le Sénat,
Publiera l’éloge funèbre
Avec l’humblesse du prélat.
Calonne4 sonnera la cloche,
Maupeou5 sera le fossoyeur,
Lui qui, plus ferme qu’une roche, 
 Pour mériter le doux honneur
D’établir l’heureux despotisme,
Enterrerait de tout son cœur
Les lois et le patriotisme.
Le pacifique d’Aiguillon6 ,
Dont l’âme est un peu rassurée,
Présentera le goupillon
A la vénérable assemblée ;
Et le clergé, couvert de deuil,
Jettera des flots d’eau bénite
Sur le trop funeste cercueil.
Après quoi, sortant de leur gîte
Avec un minois compassé,
Billard et Grisel7 viendront dire
Le Requiescant in pace :
Et puis le duc8 , qui ferait rire
S’il n’était toujours escorté
D’ordres émanés du tonnerre,
Signifiera dans le parquet
Au Sénat, quoique mis en terre,
Nouvelle lettre de cachet,
Par laquelle on lui fait défense
D’apparaître chez les vivants,
Maupeou craignant à toute outrance
Le retour des honnêtes gens.
En outre, on fera les partages
Des effets de ces magistrats
Aux J.f.9 leurs emplois et leurs gages,
Aux jésuites leurs rabats,
Aux sorbonnistes leur science,
Aux traitants leur intégrité,
Aux évêques leur éloquence,
Aux ministres leur équité.
Ainsi le Parlement de France,
Qu’on vient, hélas ! d’ensevelir,
N’a, de son ancienne existence,
Que l’honneur qui ne peut périr.
Mais, chrétiens, ce qui nous console,
C’est que la résurrection
Est, selon la loi du symbole,
Un dogme de religion.

  • 1Autre titre : L’enterrement du parlement de Paris en janvier 1771 (Marseille, MS 531)
  • 2L’archevêque de Paris très opposé au Parlement à cause de ses préventions (Hardy)
  • 3Ancien évêque de Troyes, faiseur de plates oraisons funèbres. (M.) (R) - Mathias Poncet de la Rivière, ancien évêque de Troyes, doyen du chapitre de Saint Marcel à Paris, prélat non moins opposé au Parlement que l'archevêque de cette ville (Hardy).
  • 4Ancien procureur général du Parlement de Metz, si connu dans l’affaire de M. de la Chalotais. (M.) (R)
  • 5Chancelier Garde des Sceaux (Hardy)
  • 6Pair de France, ci-devant commandeur pour le roi dans la province de Bretagne, devenu odieux par l'affaire des troubles de cette province (Hardy)
  • 7Billard, ancien caissier des postes, condamné au carcan pour banqueroute. L’abbé Grisel, directeur de conscience impliqué dans la même affaire. (M.) (R) - détenus dans les prisons du château de la Bastille, le jugement de leur procès étant pendant au Parlement (Hardy)
  • 8Le ci‑devant comte de Saint‑Florentin, devenu duc de la Vrillière. (M) (R)
  • 9Ce mot vient de Bretagne. On appelait J.‑f. ceux qui tenaient pour la cour. (M.) (R)

Numéro
$1301


Année
1771 janvier




Références

Raunié, VIII,213-16 - F.Fr.13652, p.42-44 - Arsenal 4844, f°151-152   - BHVP, MS 703, f°128r-129r - Avignon BM, MS 2720, p.4 - Besançon BM, MS 885, p.32-34 - Marseille, MS 531, f°59r-60v - Hardy, II, 147-49