La Réduction des rentes
La réduction des rentes1
Monseigneur, vous dont le génie
S’étend sur la postérité,
Vous, par qui la France enrichie
Chantera sa prospérité,
Daignez écouter, je vous prie,
Le cri de la nécessité.
Toujours soumis aux lois du prince,
Mon cœur avec docilité
Reçoit un arrêt qu’en province
La renommée a débité :
C’est l’arrêt qui rogne nos rentes
Et qui supprime mon souper.
Mais que peuvent des lois urgentes
Sur la faim qu’on ne peut tromper ?
Mon estomac déraisonnable
Ne veut nullement obéir,
Et me contraint d’aller à table
Quand la nuit commence à venir.
Que ferai-je en ces circonstances ?
Ne point manger… votre dessein
N’est pas, pour grossir les finances,
Que les auteurs meurent de faim.
D’ailleurs, si l’Église elle-même
Ne veut qu’un jeûne limité,
Nous prescrirez-vous un carême
Qui dure à perpétuité ?
Rendez-moi donc, je vous supplie,
Par votre générosité,
Ce qu’on retranche sur ma vie ;
Ou, pour que la loi s’accomplisse,
Faites, par un trait inconnu,
Que l’estomac se rétrécisse
Conformément au revenu.
- 1« Le marquis de Caraccioli voulut lutter avec M. de La Condamine et avec M. de Voltaire, qui avait commencé à qui badinerait le mieux l’abbé Terray. On ne l’eût pas cru bien propre à ce combat de gaieté. Il n’était encore connu que par une multitude d’ouvrages de morale et de politique tristes et ennuyeux. Il changea de ton cette fois ; il répandit sur la réduction des rentes une épître assez plaisante qui courut à Tours, où il était réfugié, et vint jusqu’à Paris. » (Mémoires sur l’abbé Terray.) (R)
Raunié, VIII,269-70 - Mémoires secrets, XXIV, 253-54