Jugement rendu contre l’évêque de Senez et les jansénistes au concile d’Embrun
Jugement rendu contre l’évêque de Senez
et les jansénistes
au concile d’Embrun1
De par le dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Ayant appris de toutes parts
Qu’on arbore les étendards
D’un schisme d’augure fatal
Contre l’autorité papale,
Pour une Constitution
Qui fait la consolation
De ces âmes illuminées,
Depuis longtemps prédestinées
À réformer de par le Roi
Tous les abus de notre foi,
Et qu’incessamment on se pique
Sur des dogmes de foi antiques.
Comme toujours la nouveauté
Nous entraîne de son côté,
Voulons que tous les jansénistes
Obéissent aux molinistes,
Que le clergé, selon leur vœu,
Soit souple et rampant sous eux
Sans qu’on en excepte le Pape,
Et surtout qu’ils donnent la sape
Au parti de saint Augustin
Qui nous paraît toujours mutin
Contre la loi de l’équilibre,
Comme si l’on n’était pas libre
De faire ici-bas ce qu’on veut
Sans en obtenir son aveu.
Permettons de tuer un homme
Surpris en volant une pomme.
Tous les partisans d’Augustin,
De la prêtraille le fretin,
En font un cas de conscience,
Comme si c’était une offense.
C’est exercer trop de rigueur
Envers un prétendu pécheur.
La Société suit sans doute
Du salut la plus courte route,
Puisque Guignard s’en fut jadis
Par une échelle en paradis.
Mais à une âme débonnaire
Si un tel chemin peut déplaire,
Ils donnent un passeport,
Moyennant quoi l’âme du mort
Ira dans la cité céleste
Plus vite qu’un trait d’arbalète.
Le ciel a un fumet pour eux
Qu’ils sentent de plus de cent lieues.
Par le moyen de saint Ignace
Ils n’en perdent jamais la trace.
Qu’ils envoient nos âmes au Ciel
Par le chemin de l’arc-en-ciel,
Qu’elles y entrent par la porte
Ou par la fenêtre, qu’importe !
Puisque dans ce sacré séjour
Quand on y est, c’est pour toujours.
Les enfants de Jésus n’aspirent
Qu’au bonheur que nos cœurs désirent.
Leurs partisans savent qu’ils sont
De bons pêcheurs à l’hameçon.
Quiconque se prend à leur ligne
Jamais du salut ne forligne,
Et après la confession
Suit toujours l’absolution.
Une légère pénitence
Efface la plus grosse offense.
Aux pécheurs, dans leurs tribunaux,
Ils sont plus doux que des agneaux.
C’est un plaisir pour la jeunesse
Que d’aller chez eux à confesse.
Quiconque se trouve entiché,
Faute de grâce, du péché
Surnommé le philosophique,
(Ils en savent bien la pratique)
Quoi qu’on le fasse si affreux
Par un principe généreux
Retrace à nos sujets rebelles
Le tableau des premiers fidèles.
Mais malgré toute la vertu
Dont nous le voyons revêtu
Si, entêté comme une mule,
Il ne souscrit pas à la Bulle,
Ordonnons que du jubilé
Il soit déchu et exilé
En notre province d’Auvergne,
Ou cloîtré, s’il ne témoigne
Prompt repentir, il écherra
Qu’au pain, à l’eau il jeûnera
Jusqu’à ce qu’il se convertisse.
Sinon il faudra qu’il périsse.
Alors il sera in pacé,
Convaincu d’être trépassé.
On écrira pour épitaphe
Et sans pécher à l’orthographe
Ici gît dedans le tombeau
Des molinistes le fléau.
Tencin aura pour son salaire,
Ayant réussi à nous plaire,
Place dans notre Régiment,
Quoique blâmé du Parlement.
Mais le lavons de l’infamie
Encourue par la simonie
Par pure magnanimité,
Ainsi que de l’iniquité
De ses gains à l’agiotage
Où du temps de Lasse il fit rage.
Affranchissons aussi sa sœur
De la perte de son honneur
Et du meurtre de La Fresnaye,
Le pistolet qui fit la plaie
Ayant commis seul l’assassin,
Et non pas Madame Tencin.
Voulons de plus que sans réplique,
En dépit de saint Dominique,
Toutes ses impudicités
Lui soient réputées charités.
Bien loin de nous chercher castille
Sur telles et semblables vétilles
Pour un Pater et un Ave
Chacun en est dûment lavé.
Il n’en est pas, ma foi, de même
De ces gens à visage blême.
Le janséniste rigoureux
Rend son pénitent malheureux,
Il ne lui prêche qu’abstinence,
Les bonnes mœurs, la tempérance,
L’austérité, la charité,
La piété, l’humilité.
Ne pencher que pour la justice,
Avoir de l’horreur pour le vice,
Être fidèle à ses amis,
Pardonner à ses ennemis,
Prendre les maux en patience,
Mettre en Dieu seul sa confiance,
Avoir toujours recours à lui,
En faire son unique appui :
Voilà la morale cagotte
De ces cervelles de linotte,
Pratiquée des premiers chrétiens
Malgré l’obstacle des païens.
La vertu de l’ancienne Rome
Qui fleurait alors comme baume
N’est pas la vertu d’aujourd’hui.
L’intérêt est l’unique appui
De notre nouvelle doctrine,
Prêchée au Japon, à la Chine
Par les enfants de Loyola.
Mais s’ils ont mal réussi là,
Voulons qu’ils réussissent en France,
Et de notre pleine puissance,
Pour faire céder à nos us
Du jansénisme les abus,
Défendons la sainte Écriture
Comme une mauvaise lecture
Et tous livres édifiants,
Instructifs et sanctifiants.
Les seuls romans on pourra lire
Ou quelque piquante satire,
Comme les œuvres de Boileau
Et épigrammes de Rousseau.
Enjoignons à tous les puristes
De ne plus marcher sur les pistes
De saint Paul ni de saint Thomas,
À peine de perdre leurs pas,
Leur doctrine trop incommode
Étant à présent hors de mode.
Voulons qu’avec ceux des païens
Les dogmes des nouveaux chrétiens
Puissent être mis en parallèle,
Et suivant cette loi nouvelle,
Que le système d’aimer Dieu
N’ait dorénavant aucun lieu
Ni parmi nous, ni parmi d’autres.
Permettons aux nouveaux apôtres,
Dignes compagnons de Jésus,
(C'est à l'évêque de Fréjus)
Pour faire pencher la victoire
De leur côté, sans monitoire
Puisqu'on s’en rit présentement,
D’assembler authentiquement
Douze évêques de la Calotte,
Bien instruits de notre Marotte,
Pour tenir par ordre royal
Un concile provincial
Dans Embrun, où le grand dieu Mome
Veut que pour président on nomme
Tencin, fameux convertiseur,
Aussi vertueux que sa sœur,
Pour y déposer un saint homme
Ennemi de la cour de Rome,
Cette cour étant à présent
De l’hérétique clairvoyant
Un digne sujet de risée,
La tenant pour mal avisée
De chercher noise à un prélat
D’une morale dont l’éclat
Exercée non pas en infâme,
Mais en très vertueuse femme
Envers le genre masculin
Pour lequel son cœur est enclin.
Donnons à la sœur et au frère
Une pension viagère
De vingt mil livres tournois
Sur tous les brouillards les plus froids
De nos provinces aquatiques,
Et défendons à tous critiques
De contrôler leurs vies et mœurs.
Enjoignons à nos colporteurs
De braire dans toutes les rues
Ces présentes qui seront lues
Et affichées avec soin
Partout où il sera besoin.
Fait en notre conseil suprême
Au mois d’octobre le deuxième
De l’an mil sept cent vingt-sept
N’ayant pas le sol au gousset.
Signé Aymon avec paraphe
En prenant un peu d’eau de naphe.
- 1Autre titre : Convocation d’un concile pour juger M. l’évêque de Senez et tous les appelants (F.Fr.15143)
1754, V, 24-30 F.Fr.12655, p.19-27 F.Fr.12785, f° 102r-111v F.Fr.12800, p.329-336 F.Fr.15015, f° 1-8 F.Fr.25570, p.405-412 Arsenal 2976, p.206-211 - BHVP, MS 602, f°122v-128v - Institut, 647, f° 30v-34v - Sainte-Geneviève, MS 908, f°17 - Lille, BM, 65, p.116-130 F.Fr.15143, p.380-94