Sans titre
Pour le coup, ma foi, je n’en puis plus.
Il faut que ma muse se débonde.
Tous les jours nous sommes rebattus
Des attraits de la brune et la blonde.
Chacune veut avoir le devant.
Aux nouvelles modes
Vite on s’accommode,
On les voit se guinder follement.
Rien n’est épargné dans leur ajustement.
Voyez-les dans leur appartement
Consulter, étant à leur toilette,
Un miroir qui, souvent complaisant,
Leur fait métamorphoser la tête,
Leur cachant un défaut apparent
Soit dans leurs parures,
Soit dans leurs figures,
Mais hélas ! c’est inutilement.
Tout est découvert à la suite du temps.
Satisfaites de leur beau portrait
On les voit se mirer dans les rues
Tout comme un petit cochon de lait,
Allongeant leur cou comme des grues,
Affectant un air très sérieux
La bouche plus close
Qu’un bouton de rose
En roulant de tous côtés les yeux.
Imaginez-vous voir un chat amoureux.
Enfin, dans cet insolent harnois,
Je n’en puis plus à force de rire,
Si quelquefois on les montre aux doigts
Les sottes croient qu’on les admire.
Aussitôt, comme un poisson dans l’eau
Elles s’émoustillent
Et leurs culs frétillent.
L’habit de chacune est le plus beau,
Chacune à son goût a le plus vif museau.
Pleines de leur sotte vanité,
Vit-on jamais pareille folie ?
On voit briller au plus haut degré
En elles la noire jalousie,
Jusqu’à même se maltraiter
Pour la seule envie
D’être plus jolie.
C’est à qui saura mieux se parer,
C’est à qui mieux mieux saura se déchirer.
Consultez chacune dans son goût.
Malgré l’amitié la plus étroite
Vous les verrez déchirer de coups
Celle qu’on dit être la mieux faite
Et nous dire d’un esprit jaloux :
Elle est trop coquette,
Sa taille est mal faite,
Ah ! Monsieur, vous n’avez pas de goût,
Elle a le nez gros, elle a le teint trop roux.
Mais pour prouver leur légèreté,
Vous n’avez qu’à consulter les modes.
Pleines d’orgueil et de vanité
Remarquez comme elles s’accommodent.
Elles se changent à tous moments
Et dans leurs coiffures
Et dans leurs parures.
Oui, le beau sexe est plus inconstant
Et bien plus léger que n’est encor le vent.
Remontez jusqu’à quinze ou vingt ans
Et voyez quelles sont leurs parures.
Babolets, chicorée et rubans
Faisaient lors leurs plus belles coiffures
Les crémones, stuntkerque et carcans
Pleins de bigarrures
Ornaient leurs figures.
La cordelière eut aussi son temps
Et les bourguignonnes n’ont plus d’agrément.
On voyait briller les falbalas
Même jusqu’au bas de leurs chemises.
S’il s’en trouvait qui n’en eussent pas,
On les regardait comme sœurs grises
Pretintailles, jupes à volants,
De grandes écharpes
Et comme satrapes
Emploient cent moyens différents
Pour s’attirer un plus grand nombre d’amants.
Imaginez-vous voir Arlequin
Gesticulant à la Comédie,
C’est le vrai portrait de ce lutin
Tant pour l’habit que pour la manie.
À son habit on jugera bien
Qu’il est fait pour rire.
C’est ce qu’il inspire.
Elles m’en fournissent le moyen.
Je ris tous les jours qu’il ne m’en coûte rien.
Mais revenons aux modes du temps,
Plus d’écharpes, plus de pretintailles
Si l’on n’est coiffé en chiens courants
On passe pour de prudes canailles.
Il faut avoir force papillons
Des petits bonshommes,
C’est ainsi qu’on nomme
L’attirail de cent mille guenons.
Au lieu de rubans, il leur faut des pompons.
Les portes cochères, limaçons,
Les boucles ornent ces lunatiques,
Le plein, le croissant et les tignons
Sont modes dont chacune se pique,
Le tignon frisé, tignon carpé,
Margot Salissonne
Même se tignonne.
Enfin, pour dire la vérité
On ne voit partout que chignon chignonné.
Voyez-les avec leurs bagnolets,
Ce sont de véritables guenuches
Semblables à des esprits follets,
Babillant tout comme des perruches.
Elles portent certain désespoir
Autour de leurs têtes
Mais les pauvres bêtes
Vivent hélas ! sans s’apercevoir
Que c’est dans le cœur qu’elle doivent l’avoir.
Le solitaire n’a plus de goût
Les folles n’usent que de follettes
Les mirlitons sont connus de tous,
On en voit même chez les grisettes,
De la Régence avec du Marly
La mode est récente
Robe en innocente
Sultanes en vogue sont aussi.
La robe habillée est un très bel habit.
Les jupons piqués sont estimés,
Les cerceaux, les paniers sont de même
Et contre les arrêts énoncés
On en use malgré les lois mêmes.
Par ce moyen-là les bosseliers
Ont fait leur fortune
Car il n’est aucune
Qui pour peu qu’elle ait quelques deniers
Ne fasse l’emplette de quelques paniers.
On en voit qui sont bourrés de crin,
On en voit qui sont remplis de paille,
Le Diable en a donné le dessin
Pour la vanité de la canaille.
Par ma foi, je n’ai jamais rien vu
Plus insupportable
Ni plus effroyable.
On leur voit presque à toutes le cu.
Enfin c’est la mode, qu’on n’en parle plus.
Je permets avec juste raison
Tout cet ornement à la noblesse.
Il convient à gens d’extraction,
Il convient à l’illustre princesse,
Mais lorsque je vois une Alison
Dans cet équipage,
Jarni, j’en enrage
Et si je suivais ma passion
Je décoifferais son indigne chignon.
J’aurais bien aussi dû critiquer
Les hommes qui suivent ces manies.
Mais il faut un peu les tolérer,
Ils sont nés pour complaire aux Sylvies.
Ils ont tous ce malheureux penchant
Sotte complaisance !
Fatale indolence !
Mais on voit toujours qu’avec le temps
Reviennent tous de ces égarements.
Je n’invective pas contre eux
C’est que je vois que dans leur manière
Ils ne sont pas tant capricieux
Et ne cherchent seulement qu’à plaire.
De plus encore, ils s’aiment entre eux
Et sans jalousie
Ils passent leur vie.
Ils sont galants, ils sont généreux
Mais pour le sexe il est toujours envieux.
Ma muse, trêve de compliment.
Nous pourrions bien causer quelque orage
Laissons là les modes d’à présent.
Gardons-nous d’en dire davantage
Faisons nos excuses promptement
Et cessons de rire
Laissons la satire
Rendons-nous un peu plus complaisant.
Ma foi, rien n’égale la mode du temps.
Mazarine Castries 3984, p.159-67