Satire de la noblesse
Satire sur la noblesse
Sous les plus fameux noms règne un peuple imbécile
Dont l’air est insultant autant que l’âme est vile ;
Ce peuple dans la France, haï mais respecté,
N’ayant jamais pensé s’exprime avec fierté ;
Dans ses discours altiers il vante sa noblesse
Et dans ses actions il montre sa faiblesse ;
L’âme basse et tremblante, et le front consterné,
L’un adore en esclave un homme couronné
Et rampant à la cour, mais fier dans sa chaumière,
De son triste village augmente la misère,
Il surcharge le joug de ses pauvres vassaux,
Eux qui pour le public accablé de travaux,
Débiteurs du clergé, du roi, de la noblesse,
Vivent dans la douleur et meurent de tristesse ;
L’autre, insensible, ingrat, de son épouse en pleurs
Dès l’aurore éveillé méprise les faveurs,
Enlevé de chez lui par le plaisir stupide
D’ouvrir les flancs d’un cerf ou d’un lièvre timide ;
Celui-ci, furieux, sur les pas du dieu Mars
Court sans nécessité s’exposer aux hasards,
Emporte loin de lui sa fureur, sacrifie
Aux horreurs du trépas les douceurs de la vie ;
Enfin l’autre est pieux sous un prince dévot,
Libertin sous l’impie, insensé sous un sot,
Du prince bassement imitant les caprices,
Il forme sur lui seul ses vertus et ses vices.
De nos nobles Français telles sont les vertus :
Sans raison orgueilleux, sans raison abattus,
Soumis, inanimés entre les mains des princes,
Indomptables tyrans dans leurs humbles provinces
Sur leur soumission le trône est assuré
Mais par leur dur orgueil l’homme est déshonoré.
Le vrai noble au contraire, attirant notre estime,
Jusqu’au pied du trône est un homme sublime ;
Illustre par lui-même et grand sans vanité,
Généreux sans orgueil, humble avec dignité,
Libre et maître de lui, ne prodiguant sa vie
Que pour la conserver et garder sa patrie,
Dédaignant les emplois pénibles, fastueux,
Raisonneur agréable, amant voluptueux,
Dans les bras des amours aimant la poésie,
Abandonnant son âme à la philosophie,
De son heureux loisir il retire un grand fruit,
Il rit des préjugés que l’univers produit,
Dans le sein du repos cultivant la sagesse,
Il goûte les plaisirs avec délicatesse,
Fidèle à ses amis, père des malheureux,
Il se souvient toujours qu’il est homme comme eux.
F.Fr.15140, p.299-302