Satire contre es gens d'Église
Satire contre les gens d’Église
Quel est donc ce chaos ? et quelle extravagance
Agite maintenant l’esprit de la France ?
Quel démon infernal a mis des changements
Et tant de nouveautés dans tous nos règlements ?
On fait et l’on défait ; on rétablit, on casse ;
Rien ne demeure entier, quelque chose que l’on fasse,
On retranche les saints, on les refête après ;
On plaide au Châtelet quand on fête au Palais ;
On trouve à réformer même sur la réforme ;
L’ancien droit à présent est un droit tout difforme ;
On ne le connaît plus tant on le voit changé.
Si de même on voulait réformer le clergé,
Si l’on voulait ôter la moitié de leurs dîmes,
La réforme pourrait bien réformer des crimes.
Ces trop grands revenus perdent beaucoup de gens,
Et les riches pasteurs sont toujours indigents.
Pourquoi ceux qui devraient imiter les apôtres
Ont-ils seuls plus de bien qu’il n’en faut pour dix autres ?
On devrait bien régler un tel dérèglement
Et montrer aux pasteurs à vivre sobrement.
On ne voit que des gens de mitres et de crosses
Faire aujourd’hui rouler de superbes carrosses,
Sans se ressouvenir qu’autrefois l’Éternel
Ne monta qu’une ânesse en un jour solennel.
On parle des impôts dont la France est remplie ;
Tout le monde en murmure et tout le monde en crie.
Qu’est-ce en comparaison de tant d’injustes droits
Qu’aujourd’hui les pasteurs lèvent en tant d’endroits ?
Tout le monde en naissant doit à la sacristie,
Il faut payer l’entrée, et payer la sortie.
Enfin tous les pasteurs, par un fatal accord,
Trouvent de quoi gagner en la vie, en la mort ;
Bonne condition qui donne de quoi vivre
En lisant seulement quatre feuillets d’un livre ;
Récitant tous les jours trois ou quatre oraisons
Trouvent de quoi fournir aux frais de leur maison ;
Que le bréviaire est bon dans le siècle où nous sommes !
Un pasteur est toujours le plus heureux des hommes.
Veut-on se marier, faire acheter un ban ?
On en achète deux, le pasteur vous les vend.
Vous ne les auriez pas s’il manquait une obole.
Comment nommer cela, si ce n’est monopole
Qu’un sacré partisan a mis injustement
Aux yeux de tout Paris sur ce grand sacrement.
Voulez-vous, dit-on, la grosse sonnerie
Ainsi que vous a dit une de ces harpies.
Monopole jamais monta-t-il à tel prix ?
Ah ! que tous ces impôts vous couvrent de reproches
En nous faisant payer pour le son d’une cloche.
On sonne donc enfin et pour vos cinq écus
On vous donne du son, mais du son tant et plus ;
Un infâme crieur de qui l’âme inhumaine
Ne voit aucun vivant qu’avec beaucoup de peine ;
Ce funeste corbeau qui ne vit que de mort
Marchande insolemment pour enterrer les corps.
Choisissez, vous dit-il, l’endroit de votre fosse,
Plus elle est près du chœur, et plus la somme est grosse.
Il faut tant près des fonts, tant près le maître autel ;
Entre tous les impôts en voyons-nous un tel
Et qui peut plus choquer les droits de la nature
Que de vendre à des morts le droit de sépulture.
Je passe volontiers sur le tour de bâton
Dont un pasteur avare attrape le téton.
Je suis fort catholique et je n’ai point d’envie
De censurer ici les censeurs de ma vie
Je crois que ce qu’ils font a de bonnes raisons
Et que tous leurs patrons font bien leurs guérisons ;
Qu’on guérit de tous maux en leur offrant un cierge,
Qu’on en guérit plutôt qu’il est de cire vierge,
Que qui ne guérit pas n’a pas assez de foi,
Et je crois tout cela parce que je le dois.
Pour moi, je ne veux pas pénétrer le mystère.
Mon pasteur me l’a dit, c’est à moi de me taire.
Je crois tout ce qu’il dit, s’il fait mal, à son dan ;
Mais je souffre à regret que l’on achète un ban
Et que les ornements qui servent à l’église
Soient de différents prix comme la marchandise.
Si vous voulez les baux à votre enterrement,
Il faut tant, vous dit-on, pour un tel parement ;
Et pour l’argenterie, un crieur vous demande,
Si vous voulez avoir la petite ou la grande ;
Le prix est différent, il vous coûtera tant ;
Et si l’on ne fait rien, si l’argent n’est comptant,
Jamais aucun crédit ne se fait à l’église.
N’avez-vous point d’argent ? la croix de bois est mise.
Taisons-nous toutefois, car il est dangereux
De parler des pasteurs et de mal parler d’eux.
Tels gens ne sont pas des sujets de satire ;
Muse, va prendre ailleurs quelque sujet pour rire.
NAF.9184, p.68-70