Sans titre
Reprenons notre musette,
Cher Colin, plus de souci,
Car j’ai lu dans la Gazette,
Le Roi va mieux, Dieu merci,
Et buvons la chopinette
À la santé de Louis.
Cette épouvantable fièvre
Qui nous a tant fait crier,
A détalé comme un lièvre
Que poursuit un lévrier.
Ça de bonne eau de genièvre
Arrosons notre gosier.
Chaque jour il se remplume
Et bientôt je le verrons
Ainsi fort que de coutume
Revenir dans nos cantons.
Allons donc, cher Colin, hume
À la santé de Bourbon.
La mort devant qui tout tremble,
Car mourir c’est grand malheur,
N’a tiré sur lui, ce semble,
Que pour voir s’il aurait peur.
Allons, buvons tous ensemble,
À la santé d’un grand cœur.
Mais lui donnant audience
Il ne s’épouvantit brin ;
Ils avions fait connaissance
Devant les murs de Menin,
Et allons peuple de France,
Buvons tous jusqu’à demain.
Car étant à la tranchée
Il en approchit si près
Qu’on eût dit qu’il l’eût cherchée
Et qu’il le faisait exprès ;
Mas elle s’est retirée
En remportant ses cyprès.
Au milieu du tintamarre
Que faisait partout le feu,
On avait beau crier gare,
Ce n’était pour lui qu’un jeu.
À Noailles il dit : Tarare,
Quoi, vous avez peur, morbleu1 .
Très souvent la mort qui fauche
Tout le pauvre genre humain
En frappant à droite à gauche
Respecta ce souverain.
Buvons tous, faisons débauche
À la santé du bon vin.
Il n’a jamais voulu croire
Un vieux proverbe qui dit :
Ayons un peu moins de gloire
Et un peu plus de profit.
Amis, ne cessons de boire
À la santé de Louis.
Pour dire ce que j’en pense,
Il ne faisait pas trop bien,
Étant si cher à la France ;
Notre sort tenant au sien,
Il devait par bienveillance
Ne pas aller si grand train.
Passe qu’un homme ordinaire
S’en aille narguer la mort,
Mais un roi si nécessaire
Faisant de même a grand tort,
Il ne pouvait ainsi faire
Sans exposer notre sort.
Il ne se fût pas sans doute
Sur le Rhin moins exposé,
S’il n’avait pas sur la route
Eté tant indisposé.
Allons, faisons la déroute,
Buvons tous à sa santé.
Mais enfin l’en voilà quitte
Ce roi tout des plus charmants ;
S’il vit autant qu’il mérite
Il vivra, ma foi, longtemps.
Allons, à sa santé vite,
Verse à moi, buvons souvent.
Vive aussi la bonne Reine
Et Monseigneur le Dauphin ;
Que la bonté souveraine
Les garde de tout chagrin.
Ne songeons plus à la peine,
Buvons tous de ce bon vin.
- 1Le maréchal de Noailles étant à côté du Roi à la tranchée d’Ypres, S.M. lui dit : Vous tremblez, M. de Noailles ; à quoi ce maréchal répondit : Sire, qui ne tremblerait, voyant V.M. en si grand péril.
F.Fr.15134, p.940-45