Le café promis par Madame Geoffrin Conte
Le café promis par Madame Geoffrin
Conte
Connaissez-vous des peintres, des poètes ?
Vous connaissez de nom la célèbre Geoffrin ;
La renommée en remplit ses trompettes,
Les échos du Parnasse en résonnent sans fin.
A ses repas académiques
On traite les sujets les plus philosophiques ;
C’est chez elle, je crois, que le plan fut jeté
De l’énorme Encyclopédie.
Molière, de ce comité
Aurait fait une comédie.
Molière aussi pour son trop de gaieté
Ne fut point de l’académie.
En revanche Molière a l’immortalité
Dont les quarante ont la devise.
Revenons à la Déité
Que chacun des Elus courtise,
Non pour ses restes de beauté,
Mais pour sa générosité :
Éloge sur éloge en devient le salaire.
Un jour qu’en dignes favoris
Ces demi-dieux vantaient la bonne chère,
Et surtout le café, liqueur des beaux-esprits,
« Ce café, dit Madame, il n’a rien de sublime ;
Pour celui que j’attends réservez votre estime,
Nous aurons du café comme dans tout Paris,
Messieurs, on n’en a point. Un parfum ! une essence !
Ce café-là sera le prix,
Celui-ci l’accessit, telle est leur différence. »
L’excellent mot ! Saint-Lambert l’applaudit,
Et Marmontel eût voulu l’avoir dit.
Pour ne pas ennuyer, faisons arriver vite
Ce Café, ce Café d’élite.
Avec le plus grand soin, on le brûle, on le moud,
Le voilà dans la cafetière ;
Madame ordonne et règle tout.
« Lisette, prenez garde, il bout,
un peu moins près du feu. » la jeune chambrière
suit les ordres de point en point,
tourne la tête et sourit en arrière.
On annonce Messieurs, Madame les rejoint.
Un tison se dérange, il roule :
Ah Ciel ! sur le parquet à flots le café coule,
Lisette dans la peur qui lui trouble les sens,
Vole vers l’alcôve, s’allonge,
Prend la mystérieuse éponge,
Se baisse, s’accroupit, lève ses vêtements,
Pompe tout le moka, le reverse, le passe,
Puis remet l’éponge en son lieu.
De l’accident aucune trace
Et de bien remercier Dieu !
N’impatientons point le monde :
Le fin café paraît, se sert et friands nez
Sur tasses pleines à la ronde
Voluptueusement sont d’abord promenés.
On le respire, ô Dieux ! quelle odeur ! on le loue.
Goûtez, goûtez, que vous en semble ? eh bien ?
Plus d’un dégustateur des lèvres fait la moue ;
Chacun interrogé, pencherait pour l’ancien.
La Minerve à chacun demande
Le goût qu’il a. – Moi, j’en suis étonné,
Dit l’un, mais franchement il sent… – Quoi ? –
La lavande…
Le reste, excepté lui, le soutient mariné ;
Voyons donc… Il est détestable.
Lisette comparaît devant le tribunal ;
Craint plus que le reproche, et maligne coupable,
Sous un air innocent déguise au mieux le mal.
Autre café succède, il a tous les suffrages,
La maîtresse s’excuse, on la comble d’hommages.
La toilette du lendemain
A bientôt éclairci la chose ;
Madame, l’éponge à la main,
Voit l’eau qui brunit et pour cause ;
Lisette ne peut dire non,
Rougit, implore et reçoit son pardon.
Le fait se divulgue, nos érudits l’apprirent.
Je le raconte à ma façon.
Peut-être en rirez-vous ; j’ignore s’ils en rirent,
Mais je sais qu’ils n’ont point quitté cette maison.
CSPL, II, 388-91