Épître du supérieur de Saint-Lazare à Monsieur Roy
Épître du supérieur de Saint-Lazare à Monsieur Roy
Triste brebis, quoi, vous passez la vie
Dans le bercail du démon d’infamie.
Hélas, mon fils, vos tribulations
Auraient bien dû dompter vos passions.
Car, entre nous, à qui la providence
a-t-elle offert plus constante assistance
pour vous sauvez des désirs criminels
de fabriquer vers, blasons et beaux libels,
on les connaît tous ces traits charitables
qui, du bon ange organes respectables,
ont en public contre vos noirs écrits
sur votre dos gravé leurs saints avis.
Ce tribunal dont l’équité vous blâme
Et vous exclut pour le bien de votre âme,
Et ce portique où vous fûtes placé
Par votre prose, et par vos vers chassé,
Furent l’écho de cette voix céleste
Qui condamnait votre verve funeste.
En vérité, ces merveilleux secours
Pour trop parler vous punissent toujours.
Quand, dites-moi, s’en est-elle lassé ?
Ingrat, constante autant que méprisée,
Cette bonté, par des traits éclatants
N’a-t-elle pas marqué tous vos instants ?
Démentez-en l’aveu de la Bastille
Dont tant de fois la ténébreuse grille
Daigna s’ouvrir espérant vous cacher
A ce démon qui vous force à pécher.
Aux gens de bien, vous sentez quelle honte
Fait votre abord ; aucun ne le surmonte.
D’humbles saluts, prodigue vainement,
Vous approchez, tout fuit dans le moment.
Un ver rongeur au fond du cœur vous crie :
Tu ne seras onc de l’Académie,
Rimeur pervers ; cette privation
Dans cette vie et la damnation :
J’entends gémir toutes les saintes âmes.
Quoi, c’est en vain que vous vous prodiguez
Le miel pieux de nos exhortations
Et la faveur des fustigations.
Ne croyez pas que je vous le reproche,
Vous recvrez dans cet heureux approche
Cette cellule, et jusqu’à soixante ans,
Car telle cure est l’ouvrage du temps,
Vous jouirez de l’entretien des pères,
De leur clémence et du bras de nos frères.
Arsenal 2938, f°115r-116r
Le contexte de ce poème resté anonyme est éclairé par Elliot Polinger dans sa thèse sur Roy (p.62-63)