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Les exploits de Rouillé

Les exploits de Rouillé1
Que Rouillé, sortant de sa sphère,
S’en aille au bal,
Qu’il culbute le cul par terre,
Ce franc brutal,
Et qu’en docteur2 il cabriole,
Sautant partout,
Je conclurai que ce vieux drôle
Était bien soûl3 ;

Que dans le bal4 , à la taverne,
En carnaval,
Ce nouveau docteur te gouverne,
Ce n’est pas mal ;
Mais que le destin de la France
Soit en sa main,
Adieu, j’en prends congé d’avance,
Je sens sa fin.

Ce beau ministre de finance
Rempli de vin,
Pour mieux faire admirer sa danse
Et sa catin,
De Baluard5 a pris la figure
Et le parler.
C’est l’exploit de magistrature
Du grand Rouillé.

Régent, chasse de ta confiance
Ce comédien ;
De Desmarets prends l’assistance6 ,
Tout ira bien.
Quand le commerce et la finance
Recourt à toi,
Laisseras-tu toute la France
En désarroi ?

Vous, Régent ! qui voulez rendre
Le peuple heureux,
Daignez quelquefois de l’entendre,
Suivez ses vœux.
Bannissez ce docteur infâme
Et ses consorts,
Vous verrez revivre sans blâme
L’esprit des morts.

  • 1Autre titre: Chanson sur M. Rouillé du Coudray au mois de janvier 1717
  • 2Il avait pris l’habit d’un docteur de la Comédie italienne. (M.) (R)
  • 3 Saint Simon ne le flatte pas plus que l’auteur de la chanson : « C’était, dit‑il un rustre brutal, bourru, plein d’humeur, qui, sans vouloir être insolent, en usait comme font les insolents, dur, d’accès insupportable, à qui les plus secs refus ne coûtaient rien, et qu’on ne savait comment voir ni prendre, au reste bon esprit, travailleur, savant et capable, mais qui ne se déridait qu’avec des filles et entre les pots, où il n’admettait qu’un petit nombre de familiers obscurs. » (R)
  • 4Rouillé du Coudray alla au bal sur la fin de janvier 1717, étant ivre, avec la Saint‑Victor, sa maîtresse, et la Poli, veuve de Thierriat, maître des coches d’Auxerre et diligence de Lyon, maîtresse de M. Bignon, intendant de la généralité de Paris. Il les caressa et les baisa devant tout le monde. Il dansa ; en se tourmentant, son nez postiche tomba, on le reconnut. Les excès du vin qu’il avait pris et les mouvements qu’il s’était donnés l’obligèrent à rendre ce qu’il avait de trop. On le fit entrer dans une loge où il vomit amplement, et on l’emporta à quatre dans son carrosse. C’est ce qui a donné lieu à cette chanson. Quelques jours après parut au bal un homme ivre ; quelqu’un dit tout haut : « Excusez, le maître n’a pu y venir il a envoyé son premier commis. » Ces bals se font à la Comédie et dans la salle de l’Opéra au Palais‑Royal. — La Poli s’appelle Chevance. Elle a épousé Thierriat qui avait acquis la terre de Poli dont il avait pris le nom. Elle est en Bourgogne et vaut soixante mille livres. (Clairambault.) (R) Il alla au bal à l’Opéra déguisé avec les habits du docteur de la comédie-italienne ; il y arriva avec deux catins, si saoul qu’il dégobilla partout. On fut obligé de le reporter à quatre dans son carrosse. (Arsenal 2961)
  • 5Docteur de la Comédie italienne. (Clairambault)
  • 6Dix‑huit mois s’étaient à peine écoulés depuis que l’on menaçait Desmarets de la potence, et déjà l’on regrettait ce sage ministre. Ainsi va l’opinion publique. (R)

Numéro
$0186


Année
1717




Références

Raunié, II,203-05 - Clairambault, F.Fr.12696, p.202-03 - Maurepas, F.Fr.12629, p.11-13 - Arsenal 2961, p.374-75 (début) et 375-76 (suite) - Arsenal 3132, p.275 (début) et 276-77 (suite)