La Sonnette
La sonnette1
C’est bien à tort que d’un mauvais renom
On a noté mon scrupuleux Pégase.
Ai-je jamais rien nommé par son nom ?
Et n’ai-je pas voilé, du moins de claire gaze,
Ces nudités dont l’attrait dangereux
Pourrait gâter mon lecteur curieux ?
Jours singuliers, périphrases uniques
Et métaphores aux deux sens identiques.
A ces objets qu’on blâme dans mes vers
N’ont-ils donc pas prêté leurs mots couverts ?
J’en dis ma coulpe, il est bien vrai, beau sexe,
J’ai même peint l’attrait le plus secret,
Mais dans une ombre où le jour circonflexe
Semblait ne le laisser voir qu’à regret.
Quel mal d’ailleurs, quand en pleine lumière
J’exposerais cet arsenal d’amour
Que nos premiers aïeux exposaient au grand jour
Dans leur état d’innocence première ?
Gorge, téton, cuisse et tout autre lieu
Qu’on va traitant de membres déshonnêtes,
Ne sont-ils pas beaux ouvrages de Dieu,
Tout aussi bien que les bras, jambes, tête ?
A mon avis, ce point n’est pas douteux,
Jamais le ciel ne fit rien de honteux,
Et n’en déplaise aux civiles coutumes
Qu’on ignorait dans le monde nouveau,
Pour la montrer Dieu créa notre peau
Comme l’oiseau pour étaler ses plumes.
Moi, je l’avoue avec naïveté
Rien ne me choque en fait de nudité.
Sur ce point-là je pense en Diogène,
Et comme lui je gage en vérité
Que la nature en soi n’a rien d’obscène.
Et plût à Dieu que j’eusse aux Quinze-vingt
Vu de mes yeux cette touchante scène
Où du plus beau des culs les charmes tout divins
De l’assistance à la messe appliquée
Vinrent troubler l’attention marquée !
Au maître-autel un moine dégourdi
Menait au trot la messe de midi,
Que répondait un beau jour de dimanche
Un jeune aveugle en robe à longue manche ;
L’officiant dépêchant son missel
Déjà touchait à ce moment terrible
Où quatre mots par un charme invisible
Font d’une gaufre un corps à l’Éternel ;
Une clochette en langage sonore
Doit avertir quand ce Dieu vient d’éclore ;
L’aveugle donc, à l’affût du moment,
Se ressouvient que dans la sacristie
Il a laissé le bruyant instrument
Qu’on va sonnant au lever de l’hostie ;
Pour le chercher l’acolyte trottait.
Du lever Dieu lorsque l’instant arrive
A deux genoux près de l’autel était
Jeune dévote à la messe attentive,
Qui bonnement croyant essentiel
Afin que Dieu pût descendre du Ciel
Que de l’officiant on troussât la jaquette ;
Pour la lever au marchepied se jette.
Nouvel Oza, comme la belle tient
La main à l’arche et la chape troussée,
Sonnette en main notre aveugle revient,
Et saisissant de la dextre empressée
De la dévote et chemise et jupon
Qu’il prend alors pour chasuble et pour aube,
Il découvre en sonnant le cul le plus mignon,
La plus charmante accolade de globe
Qui se vit onc sur les bords du Lignon.
Dans leurs proportions austères
Jamais les Grecs n’avaient consacré de postères
D’un contour aussi régulier.
Dieu sait comment maint désir séculier
Trotte à l’aspect d’un si joli derrière !
Dieu sait alors combien maint œil discret
Affectueusement y lance sa prière,
Comme maint culte en fut changé d’objet !
Je ne suis pas fort curieux de messe,
Mais, de par Dieu, chaque jour je l’entends
Si l’on me veut signer une promesse,
Au lever Dieu de m’en montrer autant.
- 1Ce qu’il y a de singulier, c’est que M. Robbé est aujourd’hui convulsionnaire de bonne foi. Il croit fermement à saint Pâris et aux prétendus miracles de ses imbéciles sectateurs. Quand le Diable fut vieux, il se fit ermite. M. Robbé a soixante ans. Voici un nouveau conte qu’il a composé dans l’intervalle de la lecture de ses Heures. (Correspondance secrète)
Correspondance secrète, t.I, p.135-37