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Les Affaires du temps

Les affaires du temps
Que notre vieux préfet Fleury
Régente toujours, ou qu’il crève,
Et que son disciple Louis
Chasse, chevauche et puis s’abrève ;
Ah ! le voilà, ah ! le voici,
Celui qui en est sans souci.

Que la benoîte Leczinsky
Marmotte dans son oratoire,
Ou qu’elle prenne un favori
Qui la fasse danser et boire ;
Ah ! le voilà…

Que le pauvre duc d’Orléans
Épouse sainte Geneviève1 ,
Qu’il soit cagot, qu’il soit galant,
Ou qu’il devienne un petit miève ;
Ah ! le voilà…

Que Noailles, le maréchal,
A l’armée ne voie que colonnes,
A la cour trottant bien ou mal,
Qu’il ne soit aimé de personne ;
Ah ! le voilà…

Que ce franc fripon Chauvelin
Reste à Bourges, ou vienne à Versailles,
Qu’Orry le dur fasse sa main,
Qu’il rende gorge et puis s’en aille ;
Ah ! le voilà…

Que le pontife Vauréal
Présente aux belles son offrande ;
Que d’Auvergne, le cardinal,
Sur tous les culs mette une amende.
Ah ! le voilà…

Que le sublime Châtillon2 ,
Soit gouverneur du fils de France,
Pour la rime, mais sans raison,
Et qu’il en ait la préférence.
Ah ! le voilà…

Qu’Asfeld, le triste maréchal,
Ait génie autant que naissance,
Qu’il soit à jamais glacial
Et de pédantesque prestance.
Ah ! le voilà…

Que Belle-Isle, l’audacieux3 ,
Fasse fortune ou qu’il la manque,
Que son frère le ténébreux4 ,
Soit près de lui agent de banque ;
Ah ! le voilà…

Que la belle et douce Clermont
Perpétue sa tendre constance,
Ou qu’ennuyée de son oison5 ,
Elle en fasse entrer d’autres en danse ;
Ah ! le voilà…

Que la princesse Charolais
Mette vieux attraits en campagne,
Qu’elle se mouche avec les doigts
Faute d’outil qui l’accompagne.
Ah ! le voilà…

Que la duchesse de Villars
Fasse la dévote à outrance,
Ou que, lassée des papelards.
Du Prieur6 reprenne la lance ;
Ah ! le voilà…

Que la grande et forte Tallard
Devienne prude gouvernante,
Qu’on la voie redoubler d’art
Pour tirer suc d’humaine plante ;
Ah ! le voilà…

Que la maigre et pâle Gontault
Soit toujours bonne autant que saine,
Que la folle Châtellerault
En coule à ses amants dans l’aine ;
Ah ! le voilà…

Que la médisante Boufflers
Avec figure ratatine
Tourne des cerveaux à l’envers
Et garde son humeur taquine.
Ah ! le voilà…

Que la princesse de Conti
Adore toujours son idole,
Et que la petite Mailly
De son amant n’ait pas l’obole7 ;
Ah ! le voilà ! ah ! le voici,
Celui qui en est sans souci.
Ah ! le voilà…

 

  • 1« Il passe sa vie à Sainte Geneviève dans les plus petites pratiques de dévotion. Il va faire le catéchisme aux enfants avec les prêtres de Saint Étienne. Il suit les moindres processions. Il travaille à la critique de l’Écriture sainte. Il ne lui suffit pas d’être saint ; il faut encore qu’il sanctifie les autres. Aussi, voudrait il être évêque pour le moins. Il croit que Dieu l’a appelé à la conversion des hommes, et ne veut pas manquer à sa vocation… Il va passer des heures entières à Sainte Geneviève, à causer avec des pères érudits, sur un passage hébreu ou chaldéen, sur la ponctuation d’un verset de la Bible. En ce moment il travaille à bien fixer la situation du paradis terrestre. » (Mém. Du marquis d’Argenson.) (R)
  • 2Alexis Madeleine Rosalie, dit le comte de Châtillon, (1690-1754) ancien colonel d’un régiment de dragons, chevalier des ordres et lieutenant général, avait été nommé gouverneur du Dauphin, le 15 novembre 1735. Un an après, il fut créé duc et pair, et sa baronnie de Mauléon fut érigée en duché pairie de Châtillon. (R)
  • 3 - Charles Louis Auguste Fouquet, comte, puis duc de Belle Isle, maréchal de France et membre de l’Académie française. « Ce n’est ni un esprit supérieur, disait de lui le marquis d’Argenson, ni un homme d’imagination ; c’est un esprit juste, précis, grave, s’exprimant avec netteté et avec force. Ses succès viennent de ce que toute sa maison est une machine bien montée. Son frère, avec du sens, de la sagesse, de l’activité, lui est extrêmement subordonné et dévoué. Il le soulage de tout le détail. » (R)
  • 4 - Louis Charles Armand Fouquet, dit le chevalier de Belle Isle. « Il passe pour être la Minerve de son frère. On se trompe ; le cadet, bien loin d’inspirer des vues à l’aîné, ne joue près de lui que le rôle de modérateur ; il le contient autant qu’il peut. Pédant, circonspect, rétréci dans ses vues, sa première vertu est son amour pour son frère. » (Mém. Du marquis d’Argenson.) (R)
  • 5Le marquis de Sade. (M.) (R)
  • 6Le chevalier d’Orléans. (M.) (R)
  • 7Les notes des recueils manuscrits, indiquent ici le duc d’Agénois et Mme de La Tournelle, mais il est plus vraisemblable qu’il s’agit du Roi et de Mlle de Mailly. Le marquis d’Argenson écrivait à la date du 22 juillet 1739 : « Le Roi aime plus que jamais Mme de Mailly. Celle ci a impatience d’être déclarée maîtresse et faite duchesse. En attendant, elle n’a pas un écu. Son mari, qui s’était donné le carrosse, n’a plus qu’un fiacre. » (R)

Numéro
$0919


Année
1740




Références

Raunié, VI,278-81 - Clairambault, F.Fr.12709, p.181-84 - Maurepas, F.Fr.12635, p.275-78 - F.Fr.12675, p.369-74 -F.Fr.15137, p.402-07 - F.Fr.15149, p.431-37 - Arsenal 2934, p.429-34 - BHVP, MS 549, f°52r-54r (moins le dernier couplet)


Notes

Une version abrégée avec variantes en $5667