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La Cour et le gouvernement

La cour et le gouvernement
Réjouissez-vous aux abois,
Esclaves qu’on nomme Français !
Ne pleurez plus votre indigence,
Dans les conseils de la régence
Vous trouverez satisfaction
Salut et bénédiction.

Bénédiction et bonheur !
Vous n’aurez plus aucun malheur,
Français, je vous le certifie ;
Vous allez passer votre vie
Ainsi qu’à Cocagne1 en Congo2 ,
Et vous aurez tout à gogo.

Gogo, Lisette et Barbichon,
Personnages de grand renom,
Donnent aux conseils suffrages,
Et à qui veut leurs pucelages,
Marque d’abondance et de bien
Car tout cela ne coûte rien.

Rien n’est plus doux, plus familier
Que nos dames au grand collier ;
Vulgairement dites princesses :
Elles remuent croupière et fesses
Mieux qu’oncques ne fit la Fillon3
Et donnent encore pension.

Pensions, bijoux et chevaux,
Or, donnent à leurs damoiseaux.
De Luxembourg la jeune hôtesse,
De Bourbon la bonne duchesse,
Qui veut se faire repasser
Et ne veut jamais s’en lasser4 .

Lassay est fort bon compagnon,
Maquereau Gacé-Matignon5 ,
C’est tout dire ; mais il n’importe,
Avec bêtes de cette sorte,
N’est ni cotte ni cotillon
Dont on ne lève échantillon.

L échantillon se prend toujours
Pour à la pièce donner cours,
Aussi voit-on que la plus sage
Donne à tâter son pucelage
Afin d’attirer les chalands
Et de ne manquer de galants.

Galant fut notre défunt roi.
Ses enfants se font une loi
De surpasser un si bon père ;
Aussi voit-on par l’adultère
Bourbons, bourgeois et Montespans
Ne faire qu’un même sang.

Sous Louis, surnommé le Grand,
On ne connaissait point de sang
Qui pût venir à la couronne,
Mais aujourd’hui que l’on la donne
Au légitime et au bâtard,
Mon sang y viendra tôt ou tard6 .

Tôt ou tard serez donc heureux,
Messeigneurs mes petits-neveux ;
Vous aurez amants et maîtresses,
Et ferez bien des gentillesses,
Bien des tours d’esprit et de corps
Jusqu’à ce que vous soyez morts.

Morgué ! ce que je vois est beau,
Je vois courir dans un traîneau
Ce chef du Conseil de régence
Ivre-mort ; celui de finance
Baiser, lécher le bon régent
Pour nous faire avoir de l’argent.

L’argent ne nous manquera plus ;
On fait remarquer les écus,
On remarque aussi les pistoles,
Et l’on refond dans les écoles
Les beaux décrets du Vatican.
On réforme soldats et camp.

Quand on a tant d’invention,
D’esprit et de précaution,
Ne peut-on pas en assurance
Aller au bal et à la danse,
Et se montrer peu soucieux
De ce que dit un tas de gueux ?

Gueux vous serez toujours, Français,
A ce que dit maître Rabelais ;
Si, pour former votre jeunesse,
D’Armand7 n’empruntez la sagesse ;
Il n’est point du tout polisson,
Mais c’est un fort joli garçon8 .

Garçon ou fille ne sais trop
Car j’entends dire à demi-mot
Que par plus d’une maladie
Il s’est fait connaître amphibie,
Fruit de l’exemple et des leçons
Qu’aujourd’hui l’on donne aux Bourbons.

Bourbons, Espagnols et Français,
Je parlerais bien de vos droits ;
Mais avec autant de sagesse
Que vous avez de politesse,
Vous surpassez tous les esprits
Sans avoir jamais rien appris.

Ah ! prions tous le doux Sauveur
Que nous laissant un peu de cœur,
Il ôte aux étrangers la vue
De notre honte toute nue,
Qui fait rougir sincèrement
Le plus petit et le plus grand.

 

  • 1Brossette rapporte qu’il y a en Italie, sur la route de Rome à Lorette, une petite contrée très agréable et très fertile que l’on nomme Cucagna. Il pense que ce pourrait être là l’origine du pays de Cocagne, et la supposition paraît assez plausible. (R)
  • 2 - Le Congo ou Basse‑Guinée a longtemps passé pour une terre aussi fortunée que le légendaire pays de Cocagne. (R)
  • 3Célèbre courtisane de Paris, dont le lieutenant de police d’Argenson et Dubois firent un espion politique. Ce fut elle qui découvrit au cardinal la conspiration de Cellamare. (R)
  • 4L’auteur joue plaisamment sur ce mot. On a déjà vu que l’amant de la duchesse était le marquis de Lassay. (R)
  • 5Le comte de Gacé, qui prit plus tard le nom de Matignon, devait à la conduite scandaleuse de sa femme, l’épithète injurieuse accolée à son nom. « On publia, nous disent les Mémoires de Richelieu, que des seigneurs distingués, se permettant des fêtes nocturnes chez le comte de Gacé, avaient commis des actions dignes des temps d’Héliogabale ; on nommait Mme de Nesles, le prince de Soubise, le comte et la comtesse de Gacé. La méchanceté alla jusqu’à attaquer Mme de Gacé d’une manière plus atroce que les autres dames. » Mathieu Marais est encore plus explicite, et raconte crûment dans son Journal l’aventure en question qui eut pour conséquence un duel entre M. de Gacé et Richelieu. (R)
  • 6Ce vers nous donne lieu de croire que le grand prieur de Vendôme est l’auteur de la satire. Il se rattachait à la famille des Bourbons par son grand‑père César de Vendôme, fils naturel de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées. (R)
  • 7Le prince de Conti. (R)
  • 8Éloge ironique. (R)

Numéro
$0122


Année
1716

Auteur
Grand prieur de Vendôme ?



Références

Raunié, II 58-63 - Clairambault, F.Fr.12696, p. 161-65 - Maurepas, F.r.12628, p.412-16 - Arsenal 2937, f°133r-135v