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La Révolution de 1788

La révolution de 17881
Du monarque trompé la sagesse s’éclaire,
Les sinistres fauteurs du pouvoir arbitraire
Dans l’exil à leur tour sont chassés par nos cris,
Et le peuple indigné les dévoue au mépris.
A leur chute, signal de la publique joie,
L’aveugle despotisme abandonne sa proie ;
La nation respire, et, libre désormais,
Reporte vers son Roi des regards satisfaits.
Thémis, à qui la force imposait le silence
En brisant dans ses mains son glaive et sa balance,
Relève dans nos murs un front calme, assuré,
Par la foudre frappé sans en être altéré.
D’un zèle incorruptible encor plus animée
Elle déploie aux yeux sa pompe accoutumée,
Et rentre dans son temple, aux hommages flatteurs
D’un peuple qui la suit en la couvrant de fleurs2 .
Son retour fait pâlir ceux dont l’avare audace
Brigua l’honneur honteux de siéger à sa place.
De leur pourpre avilie ils détournent les yeux ;
Pendant que sans repos, voltigeant autour d’eux,
Avec son dard aigu, le léger ridicule
Tourmente en souriant leur bassesse crédule.
De tous les citoyens les vœux sont triomphants !
Un père tôt ou tard revient à ses enfants.
Ah ! le rayon du jour a percé le nuage !
Ne désespérons plus d’échapper au naufrage ;
Dégageons le vaisseau par un commun effort,
Et, malgré les écueils, il va rentrer au port.
La voix de la justice est du trône entendue :
A ses antiques droits la nation rendue
Sous un roi citoyen va se régénérer ;
Quand l’union renaît tout se peut réparer.
L’astre qui dissipa la nuit de la finance
Se lève de nouveau dans le ciel de la France3 .
Le peuple a retrouvé son ministre chéri,
Et Sully de retour nous ramène Henri.

  • 1Les entreprises de Brienne contre les Parlements avaient provoqué une agitation générale ; les protestations unanimes des magistrats avaient été suivies de graves désordres à Paris et dans les provinces. Le clergé lui-même, sur l’appui duquel le ministre avait compté, s’était déclaré hautement contre lui. Brienne mit le comble à l’indignation générale en édictant par l’arrêt du conseil du 16 août une véritable banqueroute. Aussitôt la cour elle-même l’abandonna, le comte d’Artois n’hésita pas à intervenir auprès du Roi pour obtenir son renvoi, et la Reine, quelque regret qu’elle en eût, dut le sacrifier ; le ministre donna sa démission le 25 août. « Il y eut un comité de deux heures entre le Roi, la Reine et l’archevêque, au sortir duquel ce ministre fut hué par le peuple de Versailles, quoiqu’il eût donné sa démission, que cette princesse m’a dit depuis lui avoir demandée. M. Necker fut nommé directeur général des finances avec entrée au Conseil d’État. On se le rappelle, il y a peu d’exemples d’une transition aussi subite du comble du désespoir et de la rage au contentement, à l’ivresse qui éclatèrent dans Paris, lorsqu’on y sut le renvoi et le rappel de M. Necker. On bénit le Roi et la Reine, et surtout on éleva M. le comte d’Artois jusqu’aux nues. Il faut convenir que son motif et sa conduite méritaient bien de la part du public des témoignages de reconnaissance. La Reine ne jouit pas longtemps de ce retour de la bienveillance publique, vingt-quatre heures suffirent pour la lui ramener : elle la perdit en aussi peu de temps quand on fut informé que l’archevêque allait être cardinal (dignité que l’on regardait comme abolie en France) et que l’abbé de Loménie, qui n’avait pas encore trente ans, était coadjuteur de Sens ; que Mme de Canisi avait promesse d’une place de dame du palais et que le régiment de la Reine cavalerie était donné à M. de Canisi… L’opinion s’exaspéra contre la Reine, la faiblesse du Roi se montra davantage, et le crédit ne reparut pas. » (Mémoires du baron de Besenval.) (R)
  • 2La réintégration du Parlement devint le signal de manifestations enthousiastes : « Le 23 septembre, sur le soir et même avant la nuit fermée, on illumina les façades des maisons dans l’intérieur de la place Dauphine, sur la nouvelle certaine que le Parlement devait se rassembler le lendemain matin à huit heures au Palais, pour y reprendre l’exercice de ses fonctions ; la jeunesse et le peuple s’y attroupent, on y tire des pétards et des fusées, jusques vers les dix à onze heures. » Le lendemain, la reprise des séances, interrompues depuis cinq mois, fut un véritable triomphe pour les magistrats : « Une multitude prodigieuse de personnes de tous états se rassemblent dans les cours et dans les salles du Palais, que les soldats du régiment des gardes françaises et ceux du régiment des gardes suisses avaient eu ordre d’évacuer et qu’on avait eu soin de bien nettoyer partout, avec la précaution même d’y brûler en différents endroits du genièvre et de l’encens, comme pour le purifier en quelque sorte. Les magistrats du Parlement s’y rassemblent aussi, trouvant à peine un passage au milieu des démonstrations de la joie la plus vive. » - L’issue de la séance ne fut pas moins remarquable : « On voit sortir les pairs, les présidents et les autres magistrats du Parlement, qui sont applaudis de nouveau à toute outrance, et les tambours de la compagnie de robe courte battent aux champs sur leur passage… Des témoins oculaires de tout ce qui s’était passé au Palais dans cette mémorable journée attestaient y avoir vu couler bien des larmes de joie. Ils pensaient que la sensation produite sur les esprits par un événement aussi remarquable ne pouvait être rendue ou exprimée ni par aucune bouche ni par aucune plume. » (Journal de Hardy.) (R)
  • 3« Il fut décidé que, pour satisfaire le public, on appellerait M. Necker. L’archevêque de Toulouse, dans le trouble où l’avait jeté la triste nouvelle que lui avait annoncée la Reine, avait cru qu’il n’était privé que de l’administration des finances, et que M. Necker travaillerait avec lui ; on eut de la peine à le tirer de son erreur et à lui faire entendre qu’il fallait renoncer entièrement à sa place. C’est ainsi que l’archevêque, monté au rang des Mazarin et des Richelieu par l’intrigue de quelques femmes, en descendit honteusement, après avoir montré son incapacité, l’indécision de son caractère en affaires et l’insufffisance de ses moyens. » (Sénac de Meilhan.) (R)

Numéro
$1601


Année
1788

Auteur
Baillot



Références

Raunié, X,295-98