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Requête de deux chiennes

Requête de deux chiennes1
Mouche et Plutonne, c’est le nom
De deux barbettes de renom,
Qui sont vos très humbles servantes,
Et qui viennent, très suppliantes,
Par devers vous crier merci
Pour cas qui les met en souci.
C’est au sujet d’une ordonnance
Qui fait une expresse défense
A tout incivil animal
D’entrer dans le Palais-Royal,
Et surtout à la gent canine.
Cet ordre, en effet, les chagrine,
Mais leur respect est le plus fort ;
Elles sentent qu’on n’a point tort
D’agir avec cette rudesse
Envers tous ceux de leur espèce.
Jadis, ils osèrent gâter
La demeure de Jupiter ;
Mais leur punition fut telle
Qu’aucun n’en rapporta nouvelle ;
Ce qui fait que chiens de leur nez
S’entrefont fête où vous savez.
Ceci peut être une imposture,
Mais comme on craint que telle injure
Ne se commette de la part
De ces animaux, sans égard
Pour les lieux les plus vénérables,
On ne veut point que leurs semblables
Entrent désormais dans celui
Qu’on doit respecter aujourd’hui,
Tant pour les beautés qu’il enserre
Que pour le maître qu’on révère.
Les suppliantes cependant,
Sans condamner aucunement
L’équité de cette ordonnance,
Voudraient pour elles seulement
Qu’on pût avoir quelque indulgence,
Vous remontrant très humblement
Qu’une semblable complaisance
Ne peut tirer à conséquence ;
Qu’il est chiens et chiens dans Paris.
Celles-ci sont chiennes d’un prix
Qui vaut bien qu’on leur fasse grâce,
Les distinguant entièrement
Des vils animaux de leur race.
Car, sans parler qu’en les voyant
Un des premiers princes du sang
Fut charmé de leur gentillesse
Et daigna leur faire caresse,
On peut, sans risque, être garant
De leur réserve et leur sagesse,
Tant on prit soin correctement
De bien diriger leur jeunesse.
Permettez donc que, librement,
Elles puissent avoir entrée
Dans cette enceinte révérée,
Qui de Paris fait à présent
Les délices et l’ornement.
Si vous honorez leur prière
De cette faveur singulière,
Plutonne vous remerciera
Et Mouche vous caressera,
Si vous aimez qu’on vous caresse ;
Comme elle vous divertira,
Si vous voulez voir son adresse,
Sa légèreté, sa souplesse.
Leur maître aussi vous répondra,
Car il est bon qu’il en réponde,
Que sur elles il veillera,
Si bien qu’il ne se passera
Rien de déshonnête et d’immonde
Dans ce rendez-vous du beau monde.
De plus, il vous assurera
Que, plus sages dans leur conduite
Que bien des filles d’Opéra,
Nulle des deux ne permettra
Qu’aucun galant vienne à sa suite.
Ainsi, soyez en sûreté
Contre toute incongruité
De la part des deux suppliantes,
Qui sont vos très humbles servantes.

  • 1Autre titre: Requête présentée à M. Coche, gouverneur du Palais-Royal par les deux chiennes qui appartiennent au garde qui et toujours dans led. Palais-Royal (F. Fr. 10476)

Numéro
$0722


Année
1731




Références

Raunié, V,256-59 - Clairambault, F.Fr.12701, p. 101-04 - Maurepas, F.Fr.12632, p.343-46 -  F. Fr. 10476, f°77r-78v - F.Fr.15145, p.258-63 et 324-30