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Sans titre

Or écoutez, petits et grands,
Le malheureux événement
Qu’on reproche à la troupe noire
Qui de son temps se faisait gloire
De faire remontrance au Roi,
Souvent sans trop savoir pourquoi.

La veille des vacations
Le sénat plein d’émotions
Dit : remontons sur notre bête,
Ainsi qu’autrefois faisons tête
Au Roi comme au gouvernement :
Ce sont les droits du Parlement.

Essayons de faire une loi
Qui règle le pouvoir du Roi ;
Qu’elle soit vieille ou bien nouvelle,
Que nous importe, pourvu qu’elle
Apprenne à la postérité
Quelle était notre autorité.

Saisissons donc le bon moment
Puis gagnons les champs promptement ;
Le Cardinal est un bonhomme
Qui n’oserait nous traiter comme
Celui qui se nommait Régent,
Malgré nous et malgré nos dents.

Vite il dressa un bel arrêt
Mais ce qu’il dit, chacun le sait.
De ce haut exploit on s’enivre,
On veut qu’il soit sur le grand livre
En lettres d’or mis en dépôt
Chez le courageux Isabeau.

Le Roi les voyant faire, rit
Puis envoya l’huissier Denis
Qui pour terminer l’aventure
Sur le registre fait rature
Et renverse dans un moment
Tous les beaux droits du Parlement.

Au retour ce fut grand fracas
Quand le greffier conta le cas,
Comme quoi l’huissier difficile
Le menaçait de la Bastille
S’il n’obéissait promptement
Au souverain commandement.

Le sénat se mit en courroux
Car de ses droits il est jaloux
Comme un moine de sa besace.
Que pareille affront on nous fasse,
A nous qui sommes défenseur
Du peuple, et du roi les tuteurs !

Si telle insulte nous souffrons
Sur le ventre ils nous marcheront.
Allez, Portail, en diligence
Demander au grand Roi de France
Jour pour écouter nos raisons
Sur cette noire trahison.

Mais avant que Portail fut prêt
Voici deux lettres de cachet
Qui leur ordonne le silence,
De s’assembler leur fait défense.
Ainsi parlait-on autrefois
Au parlement de par le Roi.

Voici, dit Pucelle en courroux
Un trait de cet homme si doux.
Messieurs, tout chaud il faut lui rendre,
Allons notre bon Roi surprendre.
Il est resté seul à Marly,
Le Cardinal est à Issy.

Aussitôt dit, aussitôt fait ;
Quarante à midi furent prêts ;
Chacun au dîner se dérobe,
Jamais on ne vit tant de robes ;
Aussi pour un si beau projet
Plus de monde tant mieux était.

La garde dit en les voyant :
Voici des carêmes prenants,
Le Suisse à la porte s’écrie :
C'est l’italique comédie,
Je vois Pantalon, le docteur,
Et prit l’huissier pour le moucheur.

Mais d’Arlequin point il ne voit,
Pourtant plus de doute y avoit
Mais la longue robe les cache.
Quelque zélé qui se détache
Va dire au Roi subitement :
Sire, c’est votre Parlement.

Il fait beau voir dans des jardins
Ensemble quarante robins,
Surtout à la fin de novembre.
Mais on les renvoie à leur chambre,
Peur du froid, sans civilité,
De la part de Sa Majesté.

Le Diable dans ce moment-là
Dans le corps de Pucelle entra ;
Le crin hérissé, il s’élance
Du côté de Son Éminence
Qui pour s’en moquer le loua
Et doucement le rabroua.

Ils s’en retournèrent consternés,
Chacun avec un pied de nez,
Criant à leur ami Noailles :
On nous traite comme canailles.
J’ai fait deux fois tous mes efforts,
Dit-il, mais mon crédit est mort.

Le lendemain fut question
De la belle réception ;
Chacun, furieux, délibère ;
Portail, leur courrier ordinaire,
Encore un coup fut député
Pour se plaindre à Sa Majesté.

Il s’y résout, non sans chagrin,
Mais on raccourcit son chemin ;
Ceci je vous le dis d’avance
Est sérieux plus qu’on ne pense.
Comment résister, quand d’un corps
Les membres sont si bien d’accord.

La France est perdue à jamais.
Pour sauver le Roi désormais
Du coup qui menace sa tête,
Le seul remède est qu’il remette
Les rênes de l’État ès mains
De Pucelle, dernier Romain.

Numéro
$5439


Année
1732 (Castries)




Références

F.Fr.15137, p.16-23 - Mazarine Castries 3985, p.328-34