Remerciement de l’abbé Séguy à l’Académie
Remerciement de l’abbé Séguy à l’Académie
Monsieur le procureur du Roi
Votre décret vaut, sur ma foi,
Mieux que tous les décrets de Rome,
Car il fait disparaître un homme1
Dont le style doux et malin
Nous régalait de chicotin.
Sur le ton d’un grave orateur
Il a fait un discours moqueur.
Il voulait ce critique injuste
Que notre compagnie auguste
S’abaissât à prier les gens
De vouloir bien entrer dedans.
Il a piqué sur un ton vif
L’habile confident Moncrif.
Il lui donne de l’industrie
Pour servir la galanterie.
Mais c’est par ses écrits savants
Qu’il se rend utile aux galants.
Puis, par un trait tout des plus doux
Il met des maîtres parmi nous.
Un Mécenas à triple tête2 ,
Qui certainement n’est pas bête,
Si ce n’est qu’il fait trop d’état
Et du fripon et du pied-plat.
Il a parlé du grand Hénault,
Le bon ami du sage Hérault.
Il a dit avec impudence
Qu’il a vendu sa présidence
Pour pouvoir mieux faire des vers
Et des chansons sur tous les airs.
Dupré n’est que le prête-nom,
Dit-il, du français de Milton,
Car Boismorand le revendique
Et sa plainte est assez publique
Comme si le pauvre garçon
Avait l’esprit d’être larron.
Il suffit que le précepteur
De l’équivoque traducteur
Soit Hardion3 , ce beau génie,
La gloire de l’Académie,
Dont Paris comptait les talents
Par tous les Mercures galants.
Voulant nous faire crever tous,
Nous donner la peste et des poux,
Avec malice il nous exhorte
D’ouvrir promptement notre porte
Au gadouard de l’Hélicon,
Sale et puant comme un cochon4 .
Il veut que La Roque5 et Gayot6
Entrent aussi dans le tripot.
La Roque qui ne sait pas lire,
Gayot qui ne sait pas écrire.
Ah ! qu’auprès de ce beau doublet
Brillerait le docte Mallet.
Il nous conseille méchamment
De faire un choix impertinent,
De prendre l’auteur de Thémire,
Faudrait-il pas être en délire
Pour adopter un écrivain
Pour le moins aussi plat que vain ?
Moi, prédicateur si poupin,
Suis-je donc un fade Cotin,
Un échappé de rhétorique
A qui la place académique
Puisse convenir aussi peu
Qu’au Grand Thomas le cordon bleu.
J’ai fait des discours si jolis
Sur Villars et sur saint Louis,
Mais peut-on sur telle matière
N’être pas un peu plagiaire ?
L’un et l’autre ouvrage a paru
De belle étoffe et bien cousu.
Grâces à mille plaisants traits
Je suis ridicule à jamais
La satire a lié ma langue,
Comment ferai-je ma harangue ?
Je devrais être prudemment
Dispensé de remerciement.
J’ai fait jouer mille ressorts
Pour venger mes doctes consorts.
C’est par moi que maint imbécile
Mettant en mouvement sa bile,
A fait sa plainte au magistrat
Contre un vrai criminel d’État.
Par mon conseil certain nigaud
Prenant sur cela le ton haut,
Grands yeux ouverts, bouche béante,
A dit d’un air de Rhadamante,
Rappelant son ancien métier
Il faudrait le bien châtier.
S’il est aujourd’hui le héros,
Des plus beaux esprits le suppôt,
C’est qu’au fond il est janséniste
Et même convulsionniste
Et qu’il persécute en tout lieu
Les humbles serviteurs de Dieu.
Or prions le doux rédempteur
De punir ce faux orateur,
Et que condamné par sentence
A ne plus mordre notre engeance,
Sa plume fertile en bons mots
Laisse vivre en paix tous les sots.
- 1L’abbé Desfontaines qui a été banni pour avoir fait, sous le nom de l’abbé Séguy, un discours très satirique à l’Acédémie française (M)
- 2C – L’abbé Bignon qui est cité dans le prétendu discours de l’abbé Séguy à l’Académie française ; ce Géryon à trois têtes, réunissant trois hommes différents, le magistrat, l’ecclésiastique et le lettré ; il était conseiller d’État, homme d’Église et membre des académies françaises, des Belles-lettres et des Sciences (M.).
- 3M. Hardion a été précepteur de M. Dupré de Saint-Maur (M.).
- 4L’abbé Pellegrin, surnommé Mâche-merde (M.)
- 5La Roque, qui passe pour auteur du Mercure (M.).
- 6Gayot, auteur de la Bibliothèque des gens de goût (M.).
BHVP, MS 703, f°278r-279v - Mazarine Castries 3986, p.325-330