Le Mariage du Dauphin
Le mariage du Dauphin1
Ah çà, v’là qu’est donc bâclé !
V’là l'Dauphin dans son ménage;
Le bon Guieu s’en est mêlé,
Ça doit faire un bon mariage2
,
Ça va faire un tas d’enfants ;
Mais gnia jamais trop d’honnêtes gens.
J’avons pris la libarté
Dauphaine, en fiolant l’rogôme,
De boire à votre santé
Sans oublier monsieu votre homme ;
Vous aimez s’t époux royal,
Tout l’univers est votre rival.
Vous trouvez en notre Roi
Les entrailles d’un vrai père ;
Je l’connaissons, c’est pourquoi
J’vous disons, ça, c’est notre magnière,
Et pis qu’il nous aime tous,
Que ne fera-t-il pas pour vous ?
N’vous lassez pas d’admirer
La reine et memeselles ses filles ;
Convenez qu’on ne peut guère entrer,
Dans de pus meyeures familles ;
Cheux elles, l’esprit, la vertu,
Y sont à bouche que veux-tu.
Maurice vous est allié3
Par la gloire et la vaillance ;
Au gré de notre amiquié,
Le v’là le parent de notre France ;
Dà quand on s’lie, il faut s’lié
Avec gents de même méquier.
J'gage qu'un litron d'rimeux4
Vont t'étourdir de leurs ramages
Et qui feront cheux d'zimprimeux
Mouler ton nom et leux d'zhommages,
Et par l'intérêt menés
Vendront d'zencens qu'ils t'ont donné
- 1Autre titre: Compliment des harengères de la ville de Paris à Mgr le dauphin sur son mariage avec Marie-Josèphe de Saxe (F. Fr. 10478)
- 2 Le Dauphin épousa, en secondes noces, Marie-Josèphe de Saxe, fille d’Auguste III, roi de Pologne. Le mariage eut lieu, par procuration, le 10 janvier à Dresde, où le prince royal de Pologne représenta le Dauphin, et la bénédiction nuptiale fut donnée aux deux époux dans la chapelle de Versailles, le 9 février, par le coadjuteur de Strasbourg, grand aumônier de France. « L’événement le plus remarquable sans contredit, durant l’hiver, dit à ce sujet la Vie privée de Louis XV, fut le second mariage de M. le Dauphin. Ce prince avait perdu son auguste compagne des suites d’une couche. La douleur qu’il ressentit de cette perte fut extrême, et s’il eût fallu attendre la fin de ses regrets avant de lui proposer un second hymen ç’aurait été trop long pour l’impatience de la France voyant avec peine qu’il ne fût encore père que d’une fille. Sa tendresse dut céder à la raison d’État, et il consentit à convoler à de nouvelles noces. Le choix étonna toutes les puissances quand on sut qu’il était tombé sur une princesse de Saxe, sur la fille d’un roi qui occupait le trône du beau‑père de Louis XV, d’un roi étroitement uni avec son ennemie, et qui tout récemment avait vu le roi de Prusse, allié de la France, dévaster ses États, de concert avec elle. Mais les ressentiments des princes ne laissent point de traces profondes comme ceux des particuliers. La même politique, qui les force d’oublier facilement les bienfaits, les oblige également à oublier les injures. » (R)
- 3« Le seigneur le plus distingué, aux noces de Mme la Dauphine, fut le maréchal de Saxe. La gloire de ce héros couvrait trop bien le vice de sa naissance pour que la princesse désavouât un tel parent. La France entière regrettait de ne pas lui avoir donné le jour ; elle l’enviait à son pays, elle venait de l’adopter. »(Vie privée de Louis XV.) (R)
- 4La dernière strophe ne se trouve que dans Barbier-Vernillat.
Raunié, VII,89-91 - Clairambault, F.Fr.12716, p.155-56 - Maurepas, F.Fr.12650, p.107-08 - F. Fr.10478, f°71 - F.Fr.13658, p.335-36 - Barbier-Vernillat, III, 144 (avec un couplet supplémentaire)