Réponse de la couleuvre
Réponse de la couleuvre
Aux éloges que Madame de Genlis
lui adressa dans une pièce de vers
J’ai lu les bouts rimés où vous bravez en paix
Le goût, la langue et l’harmonie ;
Ces vieux tyrans du Pinde ont péri sous vos traits ;
C’est la révolte du génie.
Leur fatale aristocratie,
Parmi tant de débris résistait aux Français ;
Mais grâce à vos heureux essais,
Plus d’art, plus de talent et plus de poésie.
Cette orgueilleuse Polymnie,
Sur ses monts escarpés, dans ses antres secrets,
Connaîtra la démocratie,
Et va ramper sur ces sommets
Où l’esprit ne planait qu’à l’aide d’Uranie.
Genlis, ce sont là vos bienfaits,
C’est à vous seule désormais
De peindre, d’affranchir et d’enchanter les bêtes.
Mais, dites-moi pourquoi, riche comme vous l’êtes,
Vous semblez, dans ces vers qui nous ont tant flattés,
Voir d’un regard jaloux nos faibles qualités ?
La couleuvre la plus subtile
Serait novice à vos côtés.
Et que sont, en effet, tous les tours d’un reptile,
Près de ceux que vous connaissez ?
Qu’est-ce que le venin que parfois je distille,
Au prix du fiel que vous versez,
Et des poisons de votre style ?
Antique et savante Sybille,
En vain dans les serpents tout vous charme et vous rit :
Nous avons votre cœur, sans avoir votre esprit ;
Et vous savez, serpent vous-même,
Que ma langue n’est plus que le muet emblème
De celle qui chez vous avec art réunit
La voix que j’ai perdue à la feinte que j’aime.
C’est par là qu’autrefois j’égalais vos destins :
Si vous avez séduit le plus vil des humains,
Je corrompis d’abord la première des femmes ;
J’empoisonnais jadis et les corps et les âmes :
Mais que je payai cher mes trop heureux desseins !
A mon premier succès le Nil bornant mon rôle,
Me proscrivit dans l’univers,
M’ordonna de ramper tout ainsi que vos vers,
Et ne me laissa pas, comme à vous, la parole ;
Mais si de mon empire on m’ôta la moitié,
Il me reste votre amitié
Et les leçons de votre école :
Tout serpent avec vous s’instruit et se console :
Régnez donc ! Infectez les deux départements
Des esprits et des corps ; tel est votre partage.
Ne me prodiguez plus vos adroits compliments
Et votre insidieux hommage,
A moi, qui n’ai sur vous que le frêle avantage
De quelques dents de plus et de mes sifflements ;
Encor vont-ils à votre usage.
Et si, pour vous servir, ce n’était pas assez
Des serpents que vous caressez
Et du dragon du voisinage1 .
Vos lecteurs, de sifflets seront toujours armés ;
A s’accorder pour vous ils sont accoutumés,
Et leur concert attend l’ouvrage
Qu’on dit chez nous que vous tramez.
- 1Allusion à un officier de dragons qui se trouvait alors dans le voisinage de Madame de Genlis.
Satiriques des dix-huitième et dix-neuvième siècles, p.205-07
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