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Le Nunc dimittis du Régent

Le Nunc Dimittis du Régent1
Si tu veux fléchir ma justice2
Et que j’exauce tes désirs,
Impie ! abandonne le vice,
Quitte tes criminels plaisirs
Nunc.

Mon peuple sous ta main coupable
Languit, gémit amèrement,
Quoique la misère l’accable,
Sans espoir de soulagement.
Dimittis.

Je t’ai mis en main la puissance,
Étaitce pour en abuser
Et pour opprimer l’innocence ?
Le maître doit-il écraser
Servum ?

Je t’ai donné ma loi pour guide,
Tu l’as transgressée en tout point,
Par ton avarice sordide,
Tu ravis un bien qui n’est point
Tuum.

Si tu veux toucher ma clémence,
Travaille à te sanctifier ;
On n’évite point ma vengeance
En se contentant de crier
Domine.

Pour voir ce qu’il faut que tu fasses
Lis ma loi, voilà ton compas ;
Je rejette loin de ma face
Tout potentat qui ne vit pas
Secundum.

Quoi ! tandis que tes mains sont pleines
Du sang des sujets de ton roi,
Tu veux que les cours souveraines
Suivent comme l’unique loi
Verbum tuum.

Ta détestable  politique
N’écoute ni droit ni raison,
Tu pilles palais et boutiques,
Nul n’est dans sa propre maison
In pace.

Ton nom, fameux par  tes rapines,
Vole au-delà de l’Océan ;
Les princes des cours tes voisines,
Te détestent comme un tyran,
Quia viderunt.

Suivant les chaleurs de ta bile,
Tu maltraites tous les Sénats ;
Dans Paris, et dans chaque ville,
Les magistrats ne sont-ils pas
Oculi mei ?

Tu ressentiras leur misère
Avant qu’on ait vu le soleil
Parcourir trois fois l’hémisphère,
Si tu ne suis pas un conseil
Salutare.

Par la splendeur de la couronne
En vain tes yeux sont éblouis ;
Ne crois pas que je te la donne :
Je prétends conserver Louis
Tuum.

Quitte les rênes de l’empire,
Remets-lui son pouvoir en main,
Son cœur est droit et je peux dire
Qu’il ne suivra pas le chemin
Quod parasti.

Que j’aime à voir ce cœur docile,
Goûter le solide aliment
Des vertus qu’un prélat habile
Lui représente incessamment
Ante faciem !

Quoique dans un âge encor tendre,
Il est l’ornement de sa cour
Par les bienfaits qu’il sait répandre,
Il s’est concilié l’amour
Omnium populorum.

Par lui règle ta conscience ;
Travaille à réparer le tort
Que tu fais à toute la France ;
Pour cela je te laisse encore
Lumen.

Profite du temps qui te reste ;
Si je diffère à te punir,
Ton sort en sera plus funeste
Lorsque je te ferai venir
Ad revelationem.

Les débauches, les adultères
Et les autres débordements,
Qui sont tes plaisirs ordinaires,
Excitent les gémissements
Gentium.

Les ennemis de mon Église,
De là prennent occasion
De traiter ma loi de sottise
Et de blasphémer mon saint nom
Et gloriam.

Si tu ne brises pas les chaînes
Dont les crimes chargent ton cœur,
Je t’infligerai mille peines
Qui satisferont la fureur
Plebis tuae.

Je suis le maître de la vie,
Mon pouvoir n’est point limité ;
Crains donc le sort du prince impie
Qui tenait en captivité Israël3 .

  • 1Stances ou paraphrase sur le psaume contre le Régent, Nunc dimittis servum tuum domine (Clairambault) - Paraphrase du cantique de Siméon (F.Fr.12500)
  • 2C’est Dieu qui parle. (M.) (R)
  • 3Dans son intéressante étude sur Les maîtresses du Régent, M. de Lescure, qui cite plusieurs fragments de cette pièce, appelle judicieusement l’attention « sur ces vers haletants qui semblent sonner le glas de la divine vengeance ». (R)

Numéro
$0498


Année
1722 (Castries)




Références

Raunié,IV, 135-39 - Clairambault, F.Fr.12698, p.253-56 - Maurepas, F.Fr.1231, p.52-57 - F.Fr.9351, f°171v-174r -  F.Fr.12500, p.293-96 - F.Fr.13660, f°20r-21v - F.Fr.15141, p.59-63 - NAF.1666, p.215r-216v - NAF.2483, p.158-60 - Arsenal 2937, f°352r-353r - Arsenal 2975/3, p.176-80 - Arsenal 2962, p.149-55 - Arsenal 3128, f°122v-123v - Arsenal 3231, p.644-49 - Mazarine, MS 4035, Pièce 19 - Besançon BM, MS 561, p.41-44

 

Mazarine Castries 3983, p.163-67