Noailles et Rouillé
Noailles et Rouillé
Que l’ambitieux courtisan
Peste et crie contre le Régent,
Que tous les pairs soient en colère,
Que le Parlement boude aussi,
Que le traitant se désespère,
Cela ne fait pas mon souci.
Mais je vois impatiemment
En public danser le Régent,
Et, sans respect pour sa personne,
Tout promettre indiscrètement,
Prêt à changer ce qu’il ordonne
Si Noailles pense autrement.
Mais pourrait-il honnêtement
Être pour lui moins complaisant ?
Au bal1
il le nomme son maître
Et l’embrasse amoureusement ;
Il ne saurait trop reconnaître
Un si public attachement.
Ce second et petit régent
Jure à son prince à chaque instant
Qu’aidé de Rouillé, son confrère2
,
Il va faire rouler l’argent3
;
Mais voit-on quelqu’un qui l’espère
Et que l’on croie à son serment ?
Si le trop crédule Régent
Veut finir nos maux promptement,
J’en sais le moyen nécessaire :
C’est de chasser incessamment
Noailles et son cruel confrère ;
Car sans cela jamais d’argent.
- 1La phrase est incorrecte : Il se rapporte ici à Noailles tandis qu’au premier et au cinquième vers Il représente le Régent. (R)
- 2« Le duc de Noailles donnait principalement sa confiance à Rouillé du Coudray, parfaitement honnête homme avec beaucoup d’esprit et de littérature, mais aimant le vin jusqu’à l’ivresse, débauché jusqu’au scandale, et ne se retenant sur rien. » (Duclos.) S’il faut en croire Saint‑Simon, le motif de leur dévouement réciproque n’était pas des plus honorables, et « la débauche avait fait leur liaison ». (R)
- 3Pour réparer le déficit énorme laissé par Louis XIV, Noailles et Rouillé n’avaient que peu de moyens à leur disposition. La Chambre de justice, créée par eux et destinée à taxer les traitants qui avaient spéculé sur la misère publique, ne donna pas, à beaucoup près, les résultats qu’ils en attendaient. (R)
Raunié, II, 28-29 - Clairambault, F.Fr. 12696, p.115 - Maurepas, F.Fr.12628, p.359-60 - Arsenal 2961, p.350-51 - Arsenal 3132, p.253-54 - Mazarine Castries 3981, p.406-07 - Lyon BM, MS 1673, f°63v (deux premières strophes)