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La mort du Régent

La mort du Régent1
Ah ! quel transport ravit vos sens,
Et qu’avez-vous à rire ?
Est-il quelque bonheur récent
Dans notre triste empire ?
Arrêtez donc ! où courez-vous ?
Ah ! dites-moi, de grâce ! —
Quoi ! venez danser avec nous,
Car d’Orléans trépasse.

D’Orléans ! vous n’y pensez pas ;
Le coup est-il possible ? —
A ceux qui doutent du trépas
Peut-il être sensible ?
Il est mort, le fait est certain,
Sans secours d’Hippocrate
Il est expiré ce matin2 .
C’est là ce qui nous flatte.

Entendez-vous ce carillon
Qui dans les airs s’élance ?
C’est pour chanter le Te Deum
De la réjouissance.
Depuis Paris jusqu’à l’Euxin,
Pour chanter sa mémoire,
Chacun de sonner le tocsin
Veut avoir la victoire.

Deux archevêques sont mandés3 ,
Bons ecclésiastiques,
A qui nous avons commandé
De beaux panégyriques.
Ils l’enverront au firmament,
Ou du moins à la porte,
D’où Pierre dira poliment :
Qu’un diable vous emporte !

Un poète, son franc ami,
A fait son épitaphe.
Cet auteur au bas n’a point mis
Ni signe ni paraphe ;
Les mots sont pompeux et galants.
Oyez, elle est gentille :
Cigît Philippe d’Orléans,
Digne époux de sa fille.

  • 1Autre titre: Dialogue entre deux Parisiennes sur M. le Régent mort le 3 décembre 1723 (Arsenal 2391)
  • 2« Le Régent, enfermé seul avec Mme de Falaris, une de ses complaisantes, s’amusait en attendant l’heure du travail avec le roi. Assis à côte l’un de l’autre, devant le feu, le duc d’Orléans se laissa tout à coup tomber dans les bras de la Falaris qui, le voyant sans connaissance, se lève tout effrayée et appelle du secours, sans trouver qui que ce fût dans l’appartement. Les gens du prince, qui savaient qu’il montait toujours chez le roi par un escalier dérobé, et qu’à l’heure de ce travail il ne venait personne, s’étaient tous écartés. La Falaris fut donc obligée de courir jusque dans les cours pour amener quelqu’un. La foule fut bientôt dans l’appartement, mais il se passa encore une demi‑heure avant qu’on trouvât un chirurgien. Il en arriva un enfin, et le prince fut saigné ; il était mort. Ainsi périt à quarante‑neuf ans et quelques mois un des hommes les plus aimables de la société, plein d’esprit, de talents, de courage militaire, de bonté, d’humanité, et un des plus mauvais princes, c’est‑à‑dire des plus incapables de gouverner. » (Duclos.) (R)
  • 3L’archevêque de Rouen, La Vergne de Tressan, premier aumônier du duc d’Orléans, en allant remettre à l’abbesse de Chelles, au Val‑de‑Grâce, le cœur de son père, déplora pompeusement la perte « de ce héros qu’on peut regarder comme le père de la patrie, le modèle des plus grands souverains et le plus parfait de tous les siècles ». Quant à l’oraison funèbre du prince défunt, elle fut prononcée le 4 février 1724 dans l’église Saint‑Denis, par l’évêque d’Angers, Michel Poncet, qui avait pris pour texte ces paroles de l’Évangile : Elevatus sum, et manus tua praecipitat me. (R)

Numéro
$0551


Année
1723 (Castries)




Références

Raunié, IV, 267-69 - F.Fr.15132, p.37-39 - Arsenal 2391, f°71r-72v - Arsenal 3116, f° 15 - Mazarine, MS 2164, p.121-24 - Mazarine Castries 3983, p.321-23 - Toulouse BM, MS 856, f°73v-75r