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La lettre du Roi au Cardinal de Noailles

La lettre du roi au cardinal de Noailles1
Or écoutez, peuple françois
La belle épître de Dubois,
Dubois, ce rare politique,
Ordonnant prière publique :
Admirez son habileté,
Sa finesse et sa piété.

Écoutez le noble jargon
Que prête à son roi ce fripon2 ,
Cette scandaleuse Éminence,
Le champignon de la régence,
Mais champignon empoisonné,
Et le plus méchant qui soit né.

Il sait faire parler un roi
Et vous allez voir comme quoi,
Car en ordonnant la prière,
Ce beau discours il lui fait faire :
Par le conseil du duc Régent,
Je vais épouser une enfant.

Cela me fait bien du plaisir,
Du feu roi c’était le désir.
Quoiqu’il fût mort quand elle est née,
Pour femme il me l’a destinée ;
Ce mariage remplira
Les plus doux souhaits qu’il forma.

Ce que j’y vois de plus brillant,
Et me touche visiblement,
C’est que cette union charmante
Avec la myrmidonne infante3 ,
L’Espagne à la France unira,
Et leur puissance affermira4 .

De mon hymen tel est le fruit,
Il se fera sans aucun bruit,
Sans ces alarmes politiques,
Sans ces jalousies frénétiques
En mil sept cent trente prochain
Si mon oncle n’y met la main.

Toute l’Europe m’applaudit,
L’empereur même y souscrit,
Peut-être il espère la niche,
Que l’on fit à Margot d’Autriche5 ;
Mais l’a-t-on fait venir ici
Pour la renvoyer sans mari ?

Urgel6 et Roses sont témoins
Des grands, des pacifiques soins
Que l’on a pris dans la régence
Pour unir l’Espagne à la France ;
Mon oncle, le duc d’Orléans,
Agit toujours avec grand sens.

Il n’a fait la guerre et la paix
Que pour de sages intérêts,
Le beau-père a su le connaître.
Depuis qu’à Madrid il est maître,
Après Dieu, le Régent, ma foi,
Ne sert personne comme moi.

Cousin, priez à haute voix
Le souverain maître des rois,
L’arbitre de nos destinées,
Enfin le grand Dieu des armées,
Qui n’est pas moins le Dieu de paix,
De favoriser ses projets.

Pour un si bel événement
Faites haut un remerciement7 ,
Mais priez bien bas qu’il me garde ;
Vous, Français, que ma mort regarde
Vous me voyez prêt à périr,
Et vous n’osez me secourir.

  • 1Glose de la lettre du roi, adressée par le cardinal Dubois au cardinal de Noailles du 6 mars 1722. (M.) — Marais nous apprend que « la lettre au cardinal a été faite par Fontenelle, de l’Académie française, sur les Mémoires du cardinal Dubois, et c’est le même académicien qui avait fait le manifeste contre l’Espagne en 1718. On fait de lui et de son esprit tout ce qu’on veut. » (R)
  • 2Voici cette lettre : « Mon cousin, l’infante d’Espagne est arrivée dans ma cour, et j’en ai la joie la plus vive que mon cœur ait encore ressentie ; mon mariage avec cette princesse réunira les deux branches descendues du roi mon bisaïeul, et par là je remplirai les plus doux souhaits que ce monarque eût pu former. Ce qu’il y a de plus heureux ce qui me touche le plus sensiblement, c’est que cette union, qui affermit la puissance de mon État et celle d’Espagne, ne cause point de ces alarmes politiques et de ces jalousies cruelles qui font répandre tant de sang, et qu’au contraire toute l’Europe y applaudit sincèrement et ratifie en quelque sorte le traité de mon mariage, tout ce qui s’est fait sous mon règne n’a eu pour objet que de lier tellement les puissances entre elles, qu’il en résultât la tranquillité générale, et que le bonheur des différents peuples fût un bonheur commun dont les uns ne pussent jouir sans les autres. Comme le souverain Maître des rois n’est pas moins appelé le Dieu de la paix que le Seigneur des armées, j’ai cru qu’il était nécessaire de lui rendre grâces d’un événement si propre à assurer la tranquillité publique. Er je vous fais cette lettre de l’avis de mon oncle le duc d’Orléans, Régent, pour vous dire de faire chanter le Te Deum dans l’église métropolitaine de ma bonne ville de Paris, où mon intention est d’assister en personne, le 12 de ce mois, à l’heure que le grand maître ou le maître des cérémonies vous dira de ma part. Je lui ordonne d’y convier mes cours, et ceux qui ont coutume d’y assister. Sur ce je prie Dieu qu’il vous ait mon cousin, en sa sainte et digne garde. Écrit à Paris, le six mars mil sept cent vingt‑deux Signé : Louis, et plus bas, Phelypeaux. » (R)
  • 3L’infante, âgée de quatre ans seulement, fut amenée à Paris, pour être élevée au milieu de la cour où elle devait régner, et son arrivée donna lieu à des fêtes extraordinaires dont Barbier nous a laissé dans son journal le détait circonstancié. Saint‑Simon, toujours pointilleux sur les questions d’étiquette et de cérémonial, fait remarquer combien ces manifestations étaient exagérées. « L’infante, dit‑il, était fille de France, comme fille du roi d’Espagne, et cousine germaine du roi, enfants de deux frères, et destinée à l’épouser. Ces titres emportaient assez d’honneur pour s’y tenir, sans y ajouter encore presque tous ceux des reines qu’elle ne devait pas avoir et qui étaient contre tout exemple et toute règle. » (R)
  • 4« La lettre du roi au cardinal de Noailles, pour faire chanter le Te Deum pour l’arrivée de l’infante, fait grand bruit, parce qu’on y parle de la réunion des deux branches de France et d’Espagne, qui cependant a fait tout le sujet de la dernière guerre et à laquelle le traité d’Utrecht paraît très opposé. » (Journal de Marais.) (R)
  • 5Promise au roi Charles VIII. (M.) — Charles VIII avait été fiancé à la fille de l’empereur Maximilien, qu’il abandonna pour épouser Anne de Bretagne (1491.) (R)
  • 6 Berwick avait pris Urgel en 1719, durant la guerre déclarée au roi d’Espagne par le Régent. (R)
  • 7« Jeudi 12, il y a eu un grand Te Deum chanté à Notre‑Dame. Le roi y a assisté avec tous les princes. M. le cardinal en chape et mitre a été le recevoir au portail du parvis et l’a reconduit de même. Je l’ai vu. Le conseil avec le garde des Sceaux et toutes les cours y ont assisté. J’ai vu le roi entrer dans la chapelle du roi pour faire sa prière. En sortant, je l’ai trouvé avec un très mauvais visage et bien pâle. Cela vient peut‑être de chagrin, car on dit qu’il n’aime pas sa petite infante, et toutes ces fêtes le chagrinent. Il faut bien qu’il le souffre par complaisance jusqu’à l’année prochaine » (Journal de Barbier.) (R)

Numéro
$0492


Année
1722 (Castries)




Références

Raunié, IV,122-27 - F.Fr.9352, f°131r - Maurepas, F.Fr.1231, p.21-24 - Arsenal 2962, p.171-75 - Arsenal 3231, p.637-40 - Mazarine Castries 3983, p.157-60 - Marais, II, 490-91 (variantes) - Bouhier-Marais, I, 118 (Couplet 7)


Notes

Paraphrase sur la lettre du roi écrite à Mgr le cardinal de Noailles pour faire chanter le Te Deum en action de grâce pour l’heureuse arrivée de ‘l’Infante d’Espagne à Paris (6 mars 1722) (Arsenal 3231) Cette chanson a été faite à l'occasion de la lettre du roi au cardinal de Noailles pour faire chanter un Te Deum en réjouissance de l'arrivée de l'infante d'Espagne. C'est le cardinal Dubois qui est auteur de la lettre où est contenu ce qui est dans la chanson. (F.Fr.9352)