Aller au contenu principal

La France abusée

La France abusée1
France, tous les jours on t’abuse,
On sait que le clinquant t’amuse,
Que tu prends l’ombre pour le corps.
Quand le nécessaire te manque,
Tu te repais des vains trésors,
Dont te leurre Law et sa Banque.

Tu n’as plus d’argent ni de rente,
Une simple feuille volante
Fait ton fonds et tes revenus.
Un étranger que l’on déteste,
Pour mettre tes enfants tout nus,
Va bientôt jouer de ton reste.

Quincampoix en sa synagogue,
Pour vendre cent mauvaises drogues,
Fait sans cesse un dernier effort,
Chacun voyant grossir l’orage
Tâche de sauver dans le port
Quelques débris du naufrage2 .

C’est dans l’infernale boutique,
De cet insigne fanatique,
Qu’on a forgé nos tristes fers.
Jamais la boîte de Pandore
N’enferma tant de maux divers
Que la Banque en a fait éclore.

  • 1Autre titre: Sur Law (Arsenal 3231)
  • 2Dès les premiers mois de 1720, Saint‑Simon constate que le système touchait à sa fin : « Les billets, écrit‑il, commencèrent à perdre, un moment après à se décrier, et le décri à devenir public. De là nécessité de les soutenir par la force puisqu’on ne le pouvait plus par industrie, et dès que la force se fut montrée, chacun désespéra de son salut. On vint à vouloir d’autorité coactive, à supprimer tout usage d’or, d’argent et de pierreries, je dis d’argent monnayé, à prétendre persuader que depuis Abraham, qui paya argent comptant la sépulture de Sara, jusqu’à nos temps, on avait été dans l’illusion et dans l’erreur la plus grossière dans toutes les nations policées du monde sur la monnaie et les métaux dont on la fait, que le papier était le seul utile et le seul nécessaire […] qu’il fut permis à la Compagnie des Indes de faire visiter dans toutes les maisons, même royales, d’y confisquer tous les louis d’or et tous les écus qui s’y trouveraient et de n’y laisser que des pièces de vingt sous et au‑dessous, et encore jusqu’à deux cents francs pour les appoints des billets et pour acheter le nécessaire des moindres denrées, avec défenses et de fortes punitions d’en garder davantage, en sorte qu’il fallut porter tout ce qu’on avait à la Banque de peur d’être décelé par un valet ; personne ne se laissa persuader, et de là recours à l’autorité de plus en plus qui ouvrit toutes les maisons des particuliers aux visites et aux délations pour n’y laisser aucun argent et pour punir très sévèrement quiconque en réserverait de caché. Jamais souveraine puissance ne s’était si violemment essayée et n’avait attaqué rien de si sensible, ni de si indispensablement nécessaire.» (R)

Numéro
$0370


Année
1720 mai




Références

Raunié, III 175-77 - Clairambault, F.Fr.12697, p.373 - Maurepas, F.Fr.12630, p.219-20 - Arsenal 2961, p.609-10 - Arsenal 3231, p.515-16