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Le cours de la Régence

Le cours de la Régence
Je veux chanter en triolet
Le cours d’une triste régence,
Philippe et son maudit Rolet ;
Je veux chanter en triolet,
Mon style sera noble et net,
Car il le mérite, je pense ;
Je veux chanter en triolet
Le cours d’une triste régence.

Avant même d’être régent,
D’une prudente économie,
Partout il pillait de l’argent ;
Avant même d’être régent,
Support du fourbe et du méchant,
Aux autres il ôtait la vie.

Le plus puissant de tous les rois
L’avait banni de sa présence,
Mais, hélas ! après les abois
Du plus puissant de tous les rois
Les robins, ministres des lois,
L’ont créé Régent de la France1 .

Le Parlement qui l’a choisi,
Lui-même s’en voit en mal aise;
Pour régenter notre pays
Le Parlement qui l’a choisi,
Pour lui marquer son grand merci,
Il l’envoie boire à Pontoise2 .

Le duc du Maine, ce papa,
Si digne, hélas ! de notre estime,
Notre Parlement l’attrapa.
Le duc du Maine, ce papa3 ,
Sur le testament il compta ;
Mais il n’est pas fils légitime.

Dès que Philippe eut en ses mains
Le gouvernail de la régence,
Il redoubla ses assassins,
Dès qu’il eut les rênes en main,
En tyran des plus inhumains,
Il fit redouter sa puissance.

Il brave, hélas ! hommes et dieux.
Par les crimes les plus infâmes,
Par un inceste furieux,
Il brave, hélas ! hommes et dieux,
Sans craindre le courroux des cieux,
La foudre et ses vengeantes flammes.

Il allie, à l’occasion,
Le vol, l’assassin, l’adultère,
Athéisme, inceste, poison ;
Il allie à l’occasion,
En rassemblant dans sa maison
Les crimes de la terre entière.

Si la nature lui faillit,
Plus tôt qu’un désir impudique,
Dans le temps qu’il demeure au lit,
Si la nature lui faillit
Pour raviver son appétit
Des cons il prend les plus lubriques.

Si de l’adultère il est las,
Aussitôt il vole à l’inceste,
De sa fille il entre en les bras.
Si de l’adultère il est las ;
Après de si grands crimes, hélas !
Dieux ! la lumière lui reste.


Aveugle à la religion,
Il ne révère qu’Épicure ;
Rien n’épouvante sa raison
Aveugle à la religion ;
L’insatiable ambition
Le fait douter de la nature.

Mais quel est ce nouveau Pérou
Dont il leurre notre croyance ?
Il le trouve je ne sais où ;
Mais quel est ce nouveau Pérou ?
Il le tient d’un juré filou
Qui frisa dix fois la potence4 .

Il en est premier inventeur,
Ce qui fait enrager Noailles5 ,
Qui voudrait lui frauder l’honneur
D’en être premier inventeur ;
Quand un fripon trompe un voleur,
On dit que le diable s’en raille.

Philippe, ô ciel ! qu’as-tu nommé
Pour régenter notre finance ?
A quoi nous as-tu destiné ?
Philippe, ô ciel ! qu’as-tu nommé ?
Je vois un peuple mutiné
Contre ce gibier de potence6 .

Ivre du pouvoir absolu,
Il nous refond notre monnaie ;
Il rogne chaque carolu ;
Ivre du pouvoir absolu,
Il tranche vingt sols par écu
Dont il fait sa petite oie7 .

Philippe, tu n’es pas le seul
Qui sait duper la pauvre France ;
Pour lui faire heurter quelque écueil,
Philippe, tu n’es pas le seul.
Un proscrit tout rempli d’orgueil
Va nous plonger dans l’indigence.

Ciel ! je te vois verser des pleurs8 ,
Un impie aurait-il des larmes ?
Prévoyais-tu quelque malheur ?
Ciel ! je te vois verser des pleurs.
Qui peut donc causer tes douleurs ?
Ton cœur sent-il quelques alarmes ?

Est-ce du trépas de Berry
Que ta perfide âme s’oppresse ?
Je vois que ton regard pâlit,
Est-ce du trépas de Berry ?
La pleures-tu comme mari,
Comme ta fille ou ta maîtresse ?

N’as-tu pas ordonné sa mort
Par raison ou par politique9
Eh quoi ! peux-tu pleurer son sort,
N’as-tu pas ordonné sa mort.
Ton poison, hélas ! sans effort,
Termine sa vie impudique.

Va, cesse de la regretter,
L’action est digne d’envie ;
Pouvait-elle moins mériter ?
Va, cesse de la regretter ;
Par ce coup tu vas t’attirer
L’éloge de toute ta vie.

Ce coup te rend le plus parfait
Des anciens tyrans de la terre ;
Ton rang était trop imparfait,
Ce coup te rend le plus parfait.
Jamais Néron n’en a tant fait,
Ni de Titus le digne frère.

Quel est donc le grand coup d’éclat
Que tu nous vas faire paraître ?
Que vois-je ? on arme tout l’État :
Quel est donc ce grand coup d’éclat ?
Menace-t-on mon potentat,
Ou trahis-tu toi-même un maître ?

Le Turc voudrait-il envahir
L’empire de mon jeune prince10 ,
Cet enfant qu’on ne peut haïr ?
Le Turc voudrait-il envahir ?
Son ambassadeur va périr ;
J’en jure au nom d’une province.

Jaloux du grand nom des Français,
Digne du sang qui te fit naître,
Aux musulmans donne des lois,
Jaloux du grand nom des Français.
La Porte a craint diverses fois
Le ministre plus que le maître

L’enfance de ce jeune lis
Ne saurait te donner d’ombrage,
Tu n’assaisonnes que de ris
L’enfance de ce jeune lis.
Tu laisseras en paix Paris,
Tant qu’il sera dans un bas âge

Tandis qu’il est pupille encor
Tu t’occupes à remplir ton coffre,
Tu fais multiplier ton or
Tandis qu’il est pupille encor.
Nous te lâchons notre trésor
Pour du papier que tu nous offres.

Pour mieux amorcer le Français
Tu lui lâches quelques pistoles,
Tu le flattes plus d’une fois
Pour mieux amorcer le Français ;
Mais la France, au bout de six mois,
Serait sans pain, sans une obole.

Tes coffres sont assez remplis,
Il te faut quelque autre mystère ;
De ta fourbe par les replis
Tes coffres sont assez remplis.
Ton maquereau portant surplis11
Te maquignonne un adultère.

Tu rentre en un plus noble état,
Les crimes reprennent leurs sources ;
Tu t’ombrages d’un potentat,
Tu rentres en un plus noble état :
Tu vas briller avec éclat
Par mille infernales ressources.

Conti, ce digne débauché,
Est prêt à combattre l’Espagne12 .
Ce petit tyran ébauché,
Conti, ce digne débauché,
A ta politique attaché,
Part pour combattre l’Espagne.

Regarde le vieux Villeroy :
Comme une seconde Minerve,
Lui seul est fidèle à son roi ;
Regarde le vieux Villeroy.
Soumis à la divine loi,
Sa prudence nous le conserve.

S’il fut malheureux au combat,
Ses bons conseils sont une égide.
Il en couvre son potentat ;
S’il fut malheureux au combat,
Je te connais franc scélérat
Tout prêt au royal homicide.

Pour mettre à couvert ton venin,
Tu loues à regret son grand zèle,
Tu nage à grands flots dans le vin,
Pour mettre à couvert ton venin.
Mais on dit, sans être devin,
Que tu lui couves une querelle.


Chacun découvre tes projets,
On en murmure, on en hérisse,
En affectionnés sujets ;
Chacun découvre tes projets,
Les grands, comme les abjects,
S’efforcent d’en crier justice

Le vin fait perdre la raison
Au philosophe le plus sage.
Lorsque l’on en boit à foison,
Le vin fait perdre la raison :
C’est par ce moyen, ce dit-on,
Que l’on découvre ton ouvrage.

Quand le vin trouble ton cerveau,
Plein d’une grandeur chimérique,
Tu te crois un roi nouveau,
Quand le vin trouble ton cerveau ;
Tu le fais crier in petto
Par tout ton nombreux domestique13 .

Le maquereau qui suit tes lois,
Si l’amour est de la partie,
Tout prêt d’obéir à ta voix,
Le maquereau qui suit tes lois,
T’offre des femmes de ton choix
Et souvent même t’assortit.

Tu sais récompenser son soin
Sans souffrir même qu’il se bouge,
Rohan en est un bon témoin14  ;
Tu sais récompenser son soin,
Tu veux pourvoir à son besoin,
Le coiffant d’un chapeau rouge.

Tu crois que c’est trop peu pour lui
Que le beau titre d’Excellence,
Et l’avoir encor pour appui ;
Tu crois que c’est trop peu pour lui.
Je vois ce faquin aujourd’hui
Fait premier ministre de France.

Quels sont donc tes cruels desseins ?
Chacun n’aspire qu’un asile ;
Sont-ce de nouveaux assassins ?
Quels sont donc tes cruels desseins ?
Poules, cachez tous vos poussins,
Le renard fait rage en la ville.

Dubois est mort, Law est parti,
La peste ravage la France,
Sous tes coups l’empire périt ;
Dubois est mort, Law est parti ;
Les factieux bretons sont pris15
Villeroy vers Lyon s’avance16 .

Tu te vois seul maître à présent.
Les fortes têtes sont logées.
A Louis prépare un présent ;
Tu te vois seul maître à présent.
Change ses gardes à l’instant,
Poursuis tes cruelles idées.

Tes coups sont tout prêts à partir,
Rien ne retient ta perfidie,
Louis du monde va sortir17 ;
Tes coups sont tout prêts à partir,
L’on ne peut plus te retenir.
C’est fait, tu n’en veux qu’à sa vie.

Mais le ciel ne le permet pas ;
A ta voix la Parque inflexible
Du ciseau n’arme point son bras ;
Non, le ciel ne le permet pas ;
Elle te prépare un trépas
Aussi funeste que terrible18 .

Je la vois retenir ses coups,
Par l’ordre du souverain Être ;
Ne redoute point son courroux,
Je la vois retenir ses coups.
Cruelle, hélas ! délivre-nous
De ce tyran, ce cruel maître.

Recommence tes cruautés,
La Mort ne peut rien sur ta vie ;
Redouble tes impiétés,
Recommence tes cruautés ;
Elle cède à tes volontés
Et s’y reconnaît asservie.

Le poison te pourrait guérir
Si tu n’étais un Mithridate ;
Par lui tu ne peux point périr.
Hélas ! il ne peut te servir ;
Cependant tu t’en vas mourir
Malgré l’espoir dont tu te flattes.

Le terme est venu, je t’y vois :
La Mort sur toi reprend puissance,
Elle te soumet à ses lois ;
Le terme est venu, je t’y vois ;
Philippe, c’est à cette fois
Qu’un Dieu vengeur sauve la France.

Croirai-je ce qu’on dit de toi ?
Voluptueux Sardanapale,
Les gens sensés se tiennent coi ;
Croirai-je ce qu’on dit de toi ?
Que la Grancey seule avec toi
Faisait des leçons de vestale.

Hélas ! prince, vous pâlissez ;
Quelle froideur coule en vos veines ?
Ce dit la putain de Grancey19 ;
Hélas ! prince, vous pâlissez.
dieux ! tous vos sens sont glacés,
Et mes espérances sont vaines.

Grand prince, expirant en foutant,
De Néron tu passes la gloire,
Caligula, Domitian ;
Grand prince, expirant en foutant,
D’un tel mérite assurément
Chacun révère la mémoire.

Tu surpasses ces grands héros,
Leur vertu ne fut que chimère ;
Tu les imites sans repos ;
Tu surpasses ces grands héros.
Ton vit a mis ta fille à dos,
Tu meurs foutant ta belle-mère.

Mais c’est trop distiller de fiel,
Ma main abandonne la plume ;
Changeons, trempons-la dans le miel ;
Mais c’est trop distiller de fiel.
Inspiré du grand Gabriel,
Sur ce saint traçons un volume ;
Mais c’est trop distiller de fiel,
Ma main abandonne la plume.

  • 1Louis XIV donna au duc du Maine la régence. Le Parlement cassa le testament et la donna au duc d’Orléans, sous prétexte que le duc du Maine n’était pas légitime. (M.) (R)
  • 2Le Parlement exilé à Pontoise (M.) (R)
  • 3Louis XV, dès sa plus tendre jeunesse, appelait le duc du Maine son papa. (M.) (R)
  • 4 Law pendu en effigie en Angleterre, pour avoir assassiné un homme. (M.) (R)
  • 5Le duc de Noailles présenta Law au Régent. (M.) (R)
  • 6Law fait contrôleur général, le peuple se souleva contre lui, cassa les glaces de son carrosse, et son valet de chambre fut tué. (M.) (R).
  • 7 Dans une fonte générale des espèces, il en diminua le poids, en augmentant la valeur, et fit des pièces de cuivre qui portaient son nom. (M) (R)
  • 8Mort de la duchesse de Berry. (M.) (R)
  • 9Voilà la première fois que l’on trouve dans les satires cette odieuse accusation. Elle est dénuée de tout fondement ; l’on sait que la mort de la duchesse de Berry fut le résultat de ses imprudences. (R) ?
  • 10Dans le temps que le Grand Turc envoya un ambassadeur en France, le Régent fit armer toutes les troupes, et la conspiration de Bretagne eut lieu dans ce temps-là. (M.) (R)
  • 11Le cardinal Dubois. (M.) (R)
  • 12Lorsque le prince de Conti prit Fontarabie. (M.) (R)
  • 13Le duc d’Orléans faisait crier : vive le Roi, dans toute sa maison, quand il était pris de vin, et se faisait couronner. (R)
  • 14Le cardinal de Rohan négocia le chapeau du cardinal. (R)
  • 15Plusieurs gentilshommes bretons s’étaient trouvés impliqués dans la conspiration de Cellamare. Quatre d’entre eux, de Pontcallec, Le Moyne, de Talhouet et du Couëdic, furent décapités ; seize autres, réfugiés en Espagne, furent condamnés par contumace. (R)
  • 16Le Régent fit présent au roi d’une paire de gants empoisonnés, que le maréchal de Villeroy jeta, ce qui fut cause de son exil. (M.) (R)
  • 17Le roi fut malade, et l’on dit que le Régent lui avait donné une part de pain bénit empoisonné (M.) (R)
  • 18Le Régent fut malade. (M.) (R)
  • 19Marie‑Françoise de Grancey, dont le père du Régent avait été amoureux, était seule avec lui lorsqu’il se trouva mal. (M.) Il y a ici une erreur évidente, puisque Mme de Grancey était morte depuis 1711 ; c’est avec la duchesse de Falaris que se trouvait le duc d’Orléans, lorsqu’il fut frappé d’apoplexie. (R)

Numéro
$0550


Année
1723 (Castries)




Références

Raunié, IV, 253-67 - F.Fr.15132, p.1-30 - Arsenal 2931, f°51v-66v  - Arsenal 3116, f° 5v-13v - Mazarine, MS 2164, p.88-114 - Mazarine Castries 3983, p.295-315 - Lyon BM, MS 1552, p.466-92