Les débuts de la Régence
Les débuts de la Régence
Or te voici donc ici ?
Vraiment, ma commère, oui.
Tout va-t-il bien, ma commère ?
Vraiment, ma commère, voire,
Vraiment, ma commère, oui.
Sais-tu qu’on vient d’établir
Six conseils1
: un pour la guerre ;
Un pour la finance et puis
Un pour affaires étrangères.
Un gros lourdaud est banni,
C’est Pontchartrain sans mystère2
.
Le Desmarets l’est aussi3
;
Le Voisin loin n’ira guères.
Que faut-il faire à Bercy4
?
Le chasser à coups d’étrivières.
J’allons vivre sans souci,
Et nous aurons de quoi boire.
Proscrira-t-on Jouvency5
Et Le Tellier son confrère ?
Nous gardera-t-on Bissy ?
Il nous donnera la foire6
.
Hardouin sera flétri
Comme aux droits des rois contraire7
.
Où placer tout le parti ?
Dedans la Salpêtrière8
.
Plus de jésuites à Paris,
Et j’irons à l’Oratoire9
.
Vite, allons de ce pas-ci
Voir le Régent, ce bon père ;
Nous saluerons avec lui10
Madame sa bonne mère
Toute sa famille aussi
Elle est digne de mémoire.
Sa famille réjouit
Tout Paris qui la révère.
Aimes-tu le bon Louis
Et son aimable vicaire ?
Que diront de tout ceci
Les quarante et le saint-père ?
Que Noailles soit béni !
Belle sera son histoire.
La Régence, Dieu merci,
Sera digne de mémoire.
Prions bien Dieu qu’aujourd’hui
Vraiment, ma commère, oui ;
Rien ne ternisse sa gloire.
Vraiment, ma commère, voire,
Vraiment, ma commère, oui.
- 1Le Régent, pour s’entourer des lumières de la discussion, remplaça les secrétaires d’État par six conseils : un conseil de conscience, un conseil des affaires étrangères, un conseil de guerre, un conseil de marine, un conseil de finances et un conseil pour les affaires du dedans du royaume. Mais il les supprima plus tard, et revint au système de Louis XIV. (R
- 2« Ponchartrain, dit Saint‑Simon, dans ses Notes sur Dangeau, infatigable aux affronts, se tenait cramponné aux restes stériles, oisifs et muets de son ancienne place, et ne songeait qu’à s’y maintenir comme que ce fût. Il n’avait de fonctions que celle de moucher les bougies au conseil de régence, et cela s’était tourné en coutume de sa part, et en dérision sans contrainte de la part de tout ce qui y assistait. Chacun admirait un si triste personnage et son insensibilité ; chacun le souhaitait chassé. » Il fallut un ordre exprès du Régent pour l’amener à se démettre de sa charge de secrétaire d’État. (R
- 3« Desmarets fut le seul des ministres du feu roi congédié alors par une courte lettre que M. le duc d’Orléans lui écrivit. Il tomba dans une surprise incroyable. Sa suffisance extrême lui avait persuadé qu’il était impossible de se passer de lui à la tête des finances. » (Saint-Simon.) Il est bon d’ajouter qu’il obtint du Régent une gratification de trois cent cinquante mille livres ; mais sa chute fit perdre la raison à sa femme. (R)
- 4Le vœu public ne tarda pas à recevoir satisfaction, ainsi que Dangeau nous l’apprend dans son Journal. « M. de Bercy, gendre de M. Desmarets et qui était intendant des finances, a reçu ordre par M. de La Vrillière de s’en aller pour quelque temps à ses terres de Normandie. On l’accuse d’avoir eu la nuit des rendez‑vous avec des gens d’affaires pour travailler de concert avec eux afin d’empêcher la circulation de l’argent. » (R)
- 5Le P. Jouvency (1643‑1719). Jésuite et humaniste distingué, il professa la rhétorique au collège Louis‑le‑Grand et publia d’excellentes éditions des classiques latins. Il composa aussi une histoire de la Compagnie de Jésus, qui fut supprimée par arrêt du Parlement. Dans ce livre il établissait au dire de Saint‑Simon, « la supériorité du pape sur le temporel des rois, son droit d’absoudre leurs sujets du serment de fidélité, de les déposer et de disposer de leur couronne, enfin le principe passé chez eux en dogme qu’il est permis de tuer les tyrans, c’est‑à‑dire les rois qui incommodent ». (R)
- 6 Le cardinal de Bissy était abbé de Saint‑Germain des Prés, et c’est sur les terrains de l’abbaye qu’avait lieu, du 3 février au dimanche des Rameaux, la fameuse foire de Saint‑Germain, qui attirait une foule énorme de curieux. Dans l’enceinte de la foire se trouvaient plusieurs petits théâtres que l’abbé louait à des troupes de bateleurs et de comédiens ambulants. (R)
- 7Il a répandu dans l’édition nouvelle des Conciles plusieurs choses contraires aux droits de la couronne et aux maximes et usages de l’Église gallicane. (M.) — Jean Hardouin, jésuite (1646‑1729), fut plus célèbre par ses paradoxes que par ses nombreux travaux d’érudition. Selon lui, les ouvrages sacrés et profanes de l’antiquité, forgés par des moines du XIIIe siècle, n’étaient que des allégories chrétiennes ; et, dans sa Collection des conciles (12 vol. in‑fol. 1715), il soutenait que tous les conciles antérieurs à celui de Trente étaient purement chimériques. Un arrêt du Parlement supprima cet ouvrage, qui avait été imprimé aux frais du roi et avait valu une pension à son auteur. (R
- 8L’hospice de la Salpêtrière, l’un des plus beaux de l’Europe, élevé par Libéral Bruant, fut ouvert par Louis XIV aux pauvres mendiants de la ville et des faubourgs de Paris, le 7 mai 1657. Au centre de l’hôpital était placée une maison de force, spécialement réservée aux femmes. (R)
- 9L’Oratoire était une congrégation de prêtres séculiers instituée par Pierre de Bérulle. On soupçonnait, non sans raison, les oratoriens d’adhérer aux doctrines jansénistes le P. Quesnel, contre qui fut lancée la bulle Unigenitus, avait fait partie de leur ordre
- 10Les derniers couplets ne figurent que dans Clairambault, F.Fr.12695.
Raunié, I,110-14 - Clairambault, F.Fr.12695, p.713 - Maurepas, F.Fr.12628, p.149-52 - F.Fr.12796 avec des variantes et un ordre différent des couplets - F.Fr.13655, p.85-86 (incomplet) - Mazarine Castries 3985, p.417-18