Aller au contenu principal

Les Conseillers du Régent

Les conseillers du Régent1
Cesse, France, de t’alarmer2 ,
Reprends tes espérances,
Et ne songe plus qu’à sauter,
Qu’a recorder tes danses ;
Noailles3 , par sauts et par bonds,
La faridondaine la faridondon,
Fit merveille au bal de jeudi4 , biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.

Bien gravement il y entra5
D’un air de bienséance,
Puis tout d’un coup il s’engagea
Dans une contredanse,
Il y fit le petit Balon6 ,
Il en a remporté le prix.

Poursuis, prince, soutiens ton choix,
Tu as fait bonne emplette,
De trois honorables bourgeois,
Gens de bonne défaite,
Du Coudray7 , Des Forts8 et Fagon9 ,
Ils ont tous trois beaucoup d’esprit.

Du Coudray plus dur que l’acier,
Fagon plus dur encore ;
Des Forts est caustique et altier ;
En vain on les implore,
L’humeur leur tient lieu de raison,
Mais ils réussiront aussi.

Noailles, notre président,
Était le seul en France
Que pouvait choisir le Régent,
Pour régler ses finances,
Le bon ordre de sa maison
Un grand augure nous fournit.

Son père était un grand guerrier10 ,
Son âme guerrière ;
Il savait assez son métier
Pour toujours en arrière
Se mettre à l’abri du canon ;
Vive monsieur son fils !

Ce laborieux financier
Travaille à toute outrance,
Il n’épargne point le papier,
C’est là toute sa science11 ;
Du sac il a montré le fond,
Aussi tout va mal aujourd’hui.

Des autres si l’on ne dit mot
Ce n’en est pas la peine ;
On ne sait quel est le plus sot,
Un borgne l’autre mène12 ;
C’est une troupe de dindons
Que Noailles élève et conduit.

Ne rions plus, venons au fait ;
Le conseil de finance
Est de tous le plus imparfait,
Et le plus d’importance ;
Où diable a-t-on pêché Fagon ?
Fallait autant garder Bercy.

Que dis-je ? je suis imprudent
De juger de la sorte,
Bientôt, pour avoir de l’argent,
Chacun prendra la hotte,
Au moins Du Coudray, ce dit-on,
La faridondaine, la faridondon,
Le croit, je suis de son avis, biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.

  • 1Autre titre : Chanson sur les conseillers des finances (Arsenal 2975/3)
  • 2Soutiens, France, soutiens ton choix (Maurepas).
  • 3Adrien Maurice, duc de Noailles, maréchal de France (1678‑1766) Le Régent l’avait nommé président du conseil des finances, dont Villeroy était le chef. (R)
  • 4Le bal de l’Opéra du 2 janvier 1716. « La proximité de l’appartement du Régent, dit à ce sujet Duclos, fit qu’il s’y montra souvent, en sortant de souper, dans un état peu convenable à l’administrateur du royaume. Dès le premier bal, le conseiller d’État Rouillé y vint ivre, parce que c’était son goût et son usage ; et le duc de Noailles dans le même état, pour faire sa cour. » (R)
  • 5Il avait le pied dans les vignes aussi bien que beaucoup d’autres qui venaient de souper chez M. d’Antin (Clairambault) (R)
  • 6Danseur de l’Opéra. (M.) (R)
  • 7 Rouillé du Coudray (1651‑1729), membre du Conseil des finances. « C’était un homme de beaucoup d’esprit, fort capable en beaucoup de choses, très entendu dans toutes les matières de la Chambre des comptes, ce qui l’avait fait croire propre aux finances, et on avait bientôt reconnu qu’il l’était fort peu. » (Saint-Simon, Notes sur Dangeau) (R)
  • 8Le Pelletier des Forts, membre du Conseil des finances. (R)
  • 9Membre du Conseil des finances. C’était le second fils du médecin de Louis XIV ; il avait été d’abord maître des requêtes et intendant des finances. (R
  • 10Anne‑Jules, duc de Noailles, maréchal de France (1693‑1708), s’était signalé par ses exploits dans la guerre de la succession d’Espagne. (R)
  • 11Saint‑Simon, qui n’aimait guère le duc de Noailles, ne le ménage pas dans ses Mémoires. « Avec tout son esprit, ses talents, ses connaissances, dit‑il, c’était l’homme le plus radicalement incapable de travail et d’affaire. L’excès de son imagination, la foule de vues, l’obliquité de tous les desseins qu’il bâtit en nombre tous à la fois, les croisières qu’ils se font les uns aux autres, l’impatience de les suivre et de les démêler, mettent une confusion dans sa tête de laquelle il ne peut sortir. » (R)
  • 12Allusion au Régent et au duc de Bourbon, qui étaient borgnes tous deux. (R)

Numéro
$0092


Année
1716 (Castries)




Références

Raunié, II 6-10 - Clairambault, F.Fr. 12696, p.47-50 -  Maurepas, F.Fr.12628, p.263-66 -Maurepas, F.Fr.12645, p.275-277 -  F.Fr.12673, p.264-74 - F.Fr.15021, f°41r -  F.Fr.15131, p.141-47 - Arsenal 2930, p.236-41 (manque la dernière strophe)- Arsenal 2937, f°186r-186v - Arsenal 2961, p.294-95 - Arsenal 2975/3, p.76-80 - Arsenal 3115, f°164r-165r - Arsenal 3132, p.213 - Mazarine, MS 2163, p.330-36 - Mazarine Castries 3981, p.366-70 - Lyon BM, MS 1552, p.218-29 - Lyon BM, MS 1673, f°62v-64r manque la dernière strophe) - Toulouse BM, MS 855, f°113v-116v


Notes

Chanson sur le premier bal du Palais-Royal, sur le théâtre de l'Opéra, le jeudi 2 février 1716 (Arsenal 2961, Clairambault)