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Le Bal de l’Opéra

 Le bal de l'Opéra1
Dans un séjour consacré par les belles,
L’ingénieux et favorable amour,
Pour combler ses sujets de ses grâces nouvelles,
Vient d’établir une nouvelle cour.
Là le déguisement des aimables mortelles
Est fatal aux époux, mais propice aux amants ;
Et la divinité qui préside sur elles
Invite tous les cœurs à ses amusements.

Amants, accourez à nos fêtes,
Leurs plaisirs ne sont que pour vous ;
Mille tendres beautés sont prêtes
A vous les faire goûter tous.

Les Ris, les Amours et les Grâces
Y volent au gré des désirs ;
Suivez de si charmantes traces,
Elles conduisent aux plaisirs.

L’Amour, qui dans ces lieux a formé son empire,
Armé des plus doux traits, vole dans tous les cœurs.
Qui pourrait résister aux transports qu’il inspire,
Quand devant lui les yeux annoncent ses faveurs ?
Sous mille diverses images
Si l’Amour vous paraît hideux,
Rassurez-vous, ce dieu ne voile les visages
Que pour récompenser plus sûrement vos vœux.

Mille beautés habiles,
Sous un masque trompeur,
N’y font les difficiles
Que pour mieux prendre un cœur.

Sous un masque propice
Qui cache la laideur,
Plus d’une Cléonice
Satisfait son ardeur.

Chaque amant s’y déguise
Pour se connaître mieux.
Il n’est point de surprise
Qui n’ait un sort heureux.

Là, de leur destinée
Les époux sont instruits ;
Sujets de l’hyménée,
Ils en trouvent les fruits.

Ce temple se consacre à la félicité.
L’amour y fait goûter sa plus vive tendresse.
Hébé répand partout un nectar enchanté,
Terpsichore y règne sans cesse,
Momus2 y fait briller l’art en lui si vanté.

Dans ces lieux enchanteurs,
Tout charme, tout engage,
Tous les dieux de la volupté
Y reçoivent sans cesse un éclatant hommage :
Le dieu de l’hyménee est le seul maltraité.

Dans ce séjour fertile
L’amour offre un asile
Pour s’aimer.
Tout est utile
Pour s’exprimer,
Le secret est facile
De s’enflammer,
Et l'on en trouve mille
Pour charmer3 .

  • 1Ces bals avaient été imaginés par le prince d’Auvergne, pour détourner des bals particuliers, où il arrivait souvent du désordre, et le Régent avait approuvé son projet ; on les donnait dans la salle de l’Opéra, au Palais Royal. « Le P. Sébastien, religieux carme, membre honoraire de l’Académie des sciences et habile ingénieur avait trouvé la manière d’enlever facilement le plancher du parterre, entre l’amphithéâtre et le théâtre, et faisait de toute la salle un grand salon parfaitement régulier ; on y donnait des bals masqués, et le plus grand nombre des dames, se découvrant sous prétexte d’être incommodées de la chaleur, ne songeaient qu’à se faire admirer et à jaser avec tous les masques. Le Régent descendait dans cette salle avec quelqu’une de ses maîtresses, qu’il promenait toute la nuit dans le bal, s’amusant de toutes les femmes qui s’y trouvaient. » (Mémoiresde Richelieu.) (R)
  • 2D’après la mythologie antique, Hébé était la déesse de la jeunesse, Terpsichore la muse de la danse, et Momus le dieu de la folie. (R)
  • 3Le grave Dangeau, qui n’allait pas au bal de l’Opéra, n’a eu garde cependant de l’oublier dans son Journal car cette innovation avait pris les proportions d’un événement. « Les bals commencèrent le soir dans la salle de l’Opéra ; ce spectacle, à ce qu’on dit, est beau. Il y a fort grand ordre, et la salle est éclairée magnifiquement ; on n’y entre que masqué, sans épée et sans bâton. — Le bal qui commença hier avant minuit finit à quatre heures du matin, et tous les gens qui y ont été en sont revenus très contents. Le seul défaut qu’on y a trouvé, c’est qu’il n’y avait pas assez de monde pour une si grande salle ; mais le spectacle a été trouvé si beau qu’on ne doute pas qu’il n’en vienne beaucoup plus dans la suite. » (2 et 3 janvier 1716.) (R)

Numéro
$0091


Année
1716




Références

Raunié, II,3-6