Récapitulation des événements de 1744 depuis le départ du Roi
Récapitulation des événements de 1744
depuis le départ du Roi
Or écoutez la belle histoire
De bout en bout,
Si vous avez bonne mémoire,
Retenez tout.
De mil sept-cent-quarante-quatre
C’est le récit,
Je dirai tout sans rien rabattre
Dans cet écrit.
Quoique ce soit chanson nouvelle,
La vérité
Comme en une histoire réelle
Avec clarté,
S’y verra sans aucun nuage,
Rien n’est flatté.
Rien, quoique long soit cet ouvrage,
N’est répété.
Le trois de mai, c’était dimanche,
Comme on peut voir
Le Roi, de sa volonté franche
Jusqu’au revoir
Partit du château de Versailles.
Chacun disait
Qu’il n’allait faire rien qui vaille
Où il allait.
Comme tout bon chrétien doit faire
Avant partir
Le Roi de faire sa prière
Eut souvenir.
Grand Dieu ! quoique j’en sois indigne,
Voyez ma foi
Et par une faveur insigne,
Veillez sur moi.
On se disait : que va-t-il faire
Chez les Flamands ?
Dépenser notre nécessaire
Perdre son temps.
Qu’a-t-il vu depuis sa naissance ?
Chiens aboyer,
Sangliers mourir en souffrance,
Cerfs larmoyer.
Il part au beau temps de l’année,
Au mois de mai,
Et dès la seconde journée
Couche à Cambrai.
De là vers Ypre il s’achemine.
Content. Pourquoi ?
C’est qu’on crie à pleine poitrine :
Vive le Roi.
Ypre est pris, Menin capitule,
Furnes se rend,
Et l’ennemi toujours recule
En le voyant.
Le Français à la boucherie
Court en dansant,
Tout se rend avec brusquerie
Au conquérant.
Le Roi, charmé comme on peut croire,
De tout ceci,
Essuyait pourtant un déboire
Et de l’ennui.
A Versailles était une Dame
Que tant aimait
Que, triste jusqu’au fond de l’âme,
S’en ennuyait.
Louis, passant pour un Alcide,
Pourtant n’osait
Demander, par humeur timide,
Ce qu’il voulait.
Richelieu, très doux casuiste,
Lui dit : Mon roi,
Je souffre de vous voir si triste
Sachant pourquoi.
Votre santé m’est des plus chère
Assurément,
Votre chagrin qui persévère
En soupirant,
Me cause une frayeur extrême.
En vérité
Vivre éloigné de ce qu’on aime,
C’est cruauté.
Pour dissiper cette tristesse,
Faites venir
Celle qui fait votre liesse,
Votre plaisir.
Demandez l’aimable Duchesse
De Châteauroux ;
Qu’elle vienne, qu’elle se presse
D’être avec vous.
Pour sauver la délicatesse
Des sottes gens,
Faites venir mainte princesse
En même temps.
De Chartres la jeune duchesse
Aise en sera,
Et sa mère avec allégresse
L’y conduira.
Aussi bien la pauvre Duchesse
N’a grand soulas ;
Son impuissant, s’il la caresse
Est bientôt las.
En voyageant quelqu’un peut-être
Sur le métier
Par cas fortuit pourrait bien mettre
Un héritier.
Ce qui fut dit, fut fait sur l’heure,
Tout au mieux va,
Sans user de force majeure
Tout arriva.
Le Roi tout le jour prend les armes
Mais sur le soir
Ce qui lui cause mille charmes
Il vient revoir.
Pendant qu’il goûte dans sa tente
Bonheur entier,
Arrive contre toute attente
Jeune courrier ;
Il dit que l’Alsace est en poudre
Si notre Roi
Ne s’en vient armé de son foudre,
Tout rendre coi.
Louis que ce récit arrête,
Se tient le front ;
Il rêve en se frottant la tête
Craint un affront ;
Il tient vite un conseil de guerre
Auquel il dit :
Je veux aller sur la frontière
Calmer ce bruit.
Gouvernez, Saxe, en mon absence
Ce pays-ci ;
Je vais chasser par ma présence
Notre ennemi ;
Qu’un gros détachement me suive
Et dès demain
Que tout soit prêt pour que j’arrive
Dessus le Rhin.
Le lendemain avant l’aurore
Le Roi partit ;
L’ardeur de vaincre le dévore,
Grand trajet fit.
Il vient à Laon, à Reims il passe,
Puis à Châlons
Il visita de chaque place
Les environs.
Avant de quitter son armée
Il consola
Sa maîtresse bien alarmée
De tout cela.
Ma gloire ordonne de poursuivre
Les ennemis.
Comme sans vous je ne peux vivre,
Suivez Louis.
Comme au peuple il se communique,
On est charmé ;
L’artisan sort de sa boutique
A point nommé ;
Le fermier laisse sa charrue
Ou son charroi,
Seulement pour avoir la vue
De ce bon Roi.
De tous côtés l’on l’environne,
Manants, bourgeois
Montent pour le voir en personne
Dessus les toits.
On entend des cris d’allégresse,
De joyeux chants.
A la ville en foule on se presse
Et même aux champs.
Il répond à la populace
Par un souris,
Leur parle, leur fait quelque grâce,
Dit : Mes amis,
Je vais punir qui vous outrage,
Priez pour moi.
Lors on crie encor davantage
Vive le Roi.
Le détachement de l’armée
Au rendez-vous
Vient, ainsi que la bien-aimée
De Châteauroux.
Metz est le lieu de l’assemblée ;
Le gouverneur
De sa maison illuminée
Se fait honneur.
Le Roi s’y met quand de la ville
Eut fait le tour ;
Il établit là son asile
Avec sa cour.
Les rues étaient tapissées,
De bout en bout,
De feuillages et de fleurs jonchées
Pour lui partout.
Un essaim de jeunes bergères
De quatorze ans,
Belles comme l’on n’en voit guère
Au lieu d’encens,
Portant chacun une corbeille,
Jettent des fleurs,
Toutes s’acquittant à merveille
De ces honneurs.
Plus loin on voit une milice
De jeunes gens
Ayant uniforme à la Suisse
Qui, quoiqu’enfants,
Portaient tous une hallebarde
Fort gravement
Et chez le Roi montaient la garde
Exactement.
A la veuve de la Tournelle
Mons Montholon
Donna la chambre la plus belle
De sa maison.
D’obliger à Metz notre Sire
C’est le moyen,
Mais tout cela s’en va sans dire,
On le sent bien.
Cette chambre est vis-à-vis celle
Du Potentat,
Commodité grande pour elle.
Le magistrat
Fit chose avec connaissance.
Le Roi content
Témoigna sa reconnaissance
Au président.
Une fort longue galerie
Toute de bois,
De charpente et menuiserie
Entre deux toits
Donne jour et nuit un passage
Incognito
Où Châteauroux par le vitrage
Va tout de go.
Quatre jours la Dame enfermée
Avec le Roi
Etait, dit-on, bien alarmée.
On sait pourquoi.
C’est que notre puissant monarque
Bien fort était
Menacé par l’affreuse Parque
Dans cet endroit.
Richelieu fut de la partie
Pour le secret
De garder sur la maladie
Un grand tacet.
Il disait : si jamais l’Église
En a le vent,
C’est notre perte sans remise
Assurément.
Votre faute, La Peyronie,
Commise exprès
Méritait bien d’être punie.
La Lauraguais
Et sa sœur ont risqué la perte
Du potentat, mais leur fourbe fut découverte
Et fit éclat.
Clermont qui, vingt fois à la porte
Tenté d’entrer,
Quoiqu’il prie et quoiqu’il exhorte
A beau frapper,
L’huissier à toute heure refuse
Le prince abbé.
Ce lieu, disait-il pour excuse,
Est prohibé.
On tint conseil, on se propose
De tout forcer.
Clermont, aidé de Soissons, ose
Si fort pousser
Que forçant l’huissier de la porte
Avec effort,
Trouve un Roi qui se déconforte,
A demi mort.
Bouillon voyant La Peyronie
Qui s’évadait,
Lui dit : Il y va de ta vie,
Et s’il mourrait,
Oui, bougre, je te ferais pendre
Comme un coquin.
C’est tout ce que tu dois attendre,
C’est ton destin.
Les Dames vite s’éclipsèrent
D’auprès du lit.
Le prince et Soissons s’approchèrent.
Ce dernier dit :
Sire, votre état m’épouvante ;
Votre langueur
Semble exiger, l’heure est pressante,
Un confesseur.
Mais avant tout, j’ose vous dire,
C’est mon devoir,
Que vous devez m’écouter, Sire,
Et dè ce soir
Congédier certaine Dame
Sans retarder
Ou bien le salut de votre âme
Est en danger.
Vous avez scandalisé, Sire,
Votre maison,
Et qui plus est tout votre empire.
Avec raison,
Il faut comme un chrétien doit faire
Pour son salut,
De cette guenon vous défaire.
C’est le début.
Consentez-vous qu’on la renvoie ?
Parlez sans fard
Et faites la chose avec joie
Plus tôt que tard.
J’y consens. Que d’Argenson vienne,
A dit le Roi.
Qu’il aille annoncer cette antienne,
Et de par moi.
Monsieur, allez-y tout à l’heure,
Chez Châteauroux ;
Vous connaissez bien sa demeure,
Dépêchez-vous.
Dites-lui que de cette ville
Et loin d’ici
Elle aille chercher un asile,
Sa sœur aussi.
Que l’on renverse, je vous prie,
Tout de ce pas
Cette maudite galerie
Du haut en bas ;
Qu’on bouche la porte croisée
Qui mène ici ;
Que celle qu’on voit opposée
Le soit aussi.
Grand Dieu ! je reconnais ma faute,
Pardonnez-moi.
Dans le fond du cœur j’en sanglote
Avec effroi.
Mon peuple à qui je dois l’exemple
Comme son Roi
Me pardonne et s’en aille au temple
Prier pour moi.
Que l’on dépêche vers la Reine ;
Je la veux voir. Hélas ! qu’elle a reçu de peine
Par mon vouloir.
Après avoir donné ces ordres
Le Roi se tut.
Il avait la tête en désordre,
Plus mal parut.
On le saigne cinq fois de suite
Sans nul soulas.
Loin de là, le mal qui s’irrite
Vise au trépas.
On saigne du pied, les sangsues
Mises sans fruit,
Tout a de mauvaises issues,
Rien n’adoucit.
En vain la faculté lui donne
Remède à tout.
Déjà la plupart l’abandonne,
On est à bout,
Lorsque du régiment d’Alsace
Un chirurgien
Tâtant le Roi de place en place
Espère en bien.
Point d’inflammation formée,
Rien aux poumons,
Mille fois j’ai fait à l’armée
Des guérisons
Encor bien plus désespérées.
Je suis certain
Si le Roi prend de mes denrées
Qu’il sera sain.
Oui, le le veux, dit notre Sire
Qu’on croyait mort,
Et sans se le faire redire
Le quidam sort,
Compose un certain émétique
Pulvérisé
Qui devient un vrai spécifique
Bien composé.
Le Roi le prit d’un air avide
Tout aussitôt.
Certaine matière putride
Vint par en haut.
Il n’eut pas rendu par la bouche
Que par en bas
Le bas-ventre qui se débouche
Salit ses draps.
Cette évacuation faite
Bien à propos,
Le Roi n’a plus mal à la tête,
Prend du repos ;
La Reine avant dans la soirée
Arive enfin,
Le Roi la voyant éplorée,
Lui tend la main.
Me le pardonnez-vous, Madame ?
Dit-il trois fois.
J’en ai le repentir dans l’âme.
Ailleurs j’aimais,
Mais pour vous je veux me refondre.
La Reine, hélas !
Se jette, au lieu de lui répondre,
Entre ses bras.
Deux jours avant cette promesse,
Fort prudemment
On parle daller à confesse.
Le Roi consent ;
Perusseau vient, parle et l’exhorte
Assez longtemps,
Puis enfin l’aumônier apporte
Les sacrements.
Repentant plus qu’on ne peut croire,
Depuis ce jour,
A Dieu seul il veut rendre gloire
De son retour.
Il promettait à tous ses proches,
Au confesseur,
Qu’il renonçait à tous reproches
De tout son cœur.
Le Roi convalescent demande
Si le Lorrain
Ravage encore avec sa bande
Deçà le Rhin.
On lui dit que dedans Saverne
Tout est à sac
Et combien digne est qu’on le berne
Mons de Jansac.
Il dépêche vite Noailles
Pour réparer.
Mais las ! il ne fait rien qui vaille.
Sur un clocher
Qui s’élève jusquà la nue
Dans Hagueneau
Par lunettes de longue vue
Voit passer l’eau.
Le prince Charles se goberge
Sur son bateau,
Et Noailles tient sa flamberge
Dans son fourreau.
Quoi ! souffirir qu’ainsi tout il perd,
Dieu, quel poltron !
Cassez ce général de merde,
Ô grand Bourbon.
Dès que le Roi put être en chaise
Il y monta,
Pour rendre le peuple bien aise
Il se montra.
Les chants d’allégresse résonnent
De tout côté,
En cent endroits les cloches sonnent
Dans la cité.
Jusques à la nation juive
Vint tout exprès
Témoigner la joie excessive
Dans le palais,
Portant melon d’or dont la graine
De diamant
Brodé de perles qu’on amène
De l’Orient.
Dès qu’il put souffrir le carrosse,
Il voyagea.
Toutes ses armes il endosse
Et le voilà
Qui quitte sans regret la ville
Et le faubourg.
Par ses discours on voit qu’il grille
D’être à Fribourg.
A Saverne il voulut lui-même
Voir les dégâts
Qu’ont commis des troupes de Bohême
Tous les soldats :
Miroirs cassés, marbre en poussière,
Meuble gâté,
Ils ont fait de tout ça litière
En vérité.
Il en part avec son cortège
De très bon cœur
Et devant Fribourg qu’on assiège
Vient en vainqueur ;
Dès qu’on le voit l’ardeur redouble
Chez les soldats.
Devant lui l’ennemi se trouble
Et ne tient pas.
Le gouverneur bientôt arbore
Le drapeau blanc
Et du Roi la clémence implore
En lui disant :
Une trève accordez-nous, Sire,
En attendant
Qu’à la Reine je fasse dire
L’état présent.
Si vous le voulez bien permettre
Dans les châteaux
Je vais la garnison remettre
Et les drapeaux.
Sitôt que la Reine d’Hongrie
Me répondra,
A l’instant mon infanterie
Défilera.
Le Roi fatigué du carnage
Qui s’est passé,
Leur accorde cet avantage
Et s’est placé
Tout au beau milieu de la ville
Avec les siens,
Et dit à Coigny : sois tranquille,
Car tu les tiens.
Des Te Deum drus comme mouches
On annonçait,
Et le Roi de sa propre bouche les ordonnait ;
Pleuvaient au village, à la ville,
Des mandements,
La plupart n’ayant dans leur style
Raison ni sens.
Chacun se surpasse en dépense
Et pour néant,
On fait feu de réjouissance
Pour son argent.
On rend la chandelle si chère
Que les manants
N’ont rien qui chez eux les éclaire
Que vers luisants.
Pour épargner cette dépense
Le grand Conti
Lève le siège en diligence
Devant Coni.
S’il eût pris cette forteresse
Paris à bout
Manquerait de suif, d’huile et de graisse,
Enfin de tout.
Le Roi sut que Dame Sixième
A Fontevrault
Etait montée à l’an neuvième
Vers le Très-Haut.
Cet ange y fut pour rendre grâce
De la santé
Qu’a recouvrée près de l’Alsace
Sa Majesté.
Avant de quitter son armée
Sa Majesté
A Fribourg fut bien alarmée
Dans la cité
Cil qui pour la Reine commande
Lui dit, Seigneur,
De pandours une grosse bande
Et gens de cœur
S’étant mis dans une embuscade
Dès le matin,
Ont pensé prendre à la passade
Votre Dauphin.
Un quart d’heure plus tôt l’affaire
Eût réussi.
La prise eût été salutaire
A l’ennemi.
Châtillon pour cette escapade
Fut exilé.
En poste un des chefs de brigade
Tout essoufflé
Vint lui dire : Il faut tout à l’heure
Sans raisonner,
Délogeant de cette demeure,
Vous en aller.
Le Roi qui revient de l’Alsace
M’a dépêché. Il veut que quittiez votre place,
J’en suis fâché,
Car mon ordre pour votre épouse
En dit autant ;
D’agir de sa tête on se blouse
Le plus souvent.
Ce gouverneur sans rien démordre
De son dessein
A Metz avait mené sans ordre
Notre Dauphin.
Admirez son étourderie
Et le plaisir
Qu’aurait eu la Reine d’Hongrie
De s’en saisir.
Le coup manqua, rendons-en grâce
Au tout-Puissant,
Et que Châtillon hors de place soit repentant.
Mais qu’un gouverneur prenne garde
Dorénavant,
Qu’un Dauphin qu’il a sous sa garde
N’en fasse autant.
Le mauvais temps d’ici me chasse
A dit le Roi.
Nous sommes maîtres de la place
Et c’et pourquoi
Qu’on fasse ce que l’on doit faire
En pareil cas.
Coigny, ce sera votre affaire,
Car je m’en vas.
Le Roi part, vient en diligence
Droit à Paris
Où le peuple en grande affluence,
Les jeux, les ris,
Lui font une superbe entrée.
Le vendredi
On oyait claire cette soirée
Comme à midi.
On dit, je ne le saurais croire,
On dit pourtant
Que sans trop songer à sa gloire,
Impatient
De revoir l’objet de sa flamme,
Le potentat
En cachette alla voir sa Dame,
Crainte d’éclat.
Un grand vent suivi de la pluie
Tout éteignit.
La magnifique bourgeoisie
Ses frais perdit.
Tout fut mouillé comme des soupes
Durant trois jours ;
Des bourgeois les superbes troupes
Sont vrais pandours.
Tous ces somptueux édifices
Faits à grands frais
D’où partaient les feux d’artifice,
Tous ces beaux dais,
Ces arcs de triomphe admirables
Si beaux, si grands
Sont dans des états déplorables
Du mauvais temps.
La plus diserte harangère
Présente au Roi
Un poisson d’espèce étrangère
Plus gros que moi,
Harangue dans l’Hôtel de ville
Sa Majesté
Et d’un trait boit plus que roquille
A sa santé.
Le Premier Président en rouge
Un discours fit
Pis que celui de cette gouge,
A ce qu’on dit ;
Il était en mauvaise prose,
Sans son voisin
Il restait après mainte pose
A mi-chemin.
Le Roi suivra sa fantaisie,
Disait-on bas,
Et ce qu’il dit à l’agonie
Ne tiendra pas,
Et tout aussitôt que sa force
Lui permettra
De rompre ce prudent divorce,
Il le rompra.
Aussi la canaille animée
Se fit la loi
De ne dire à l’accoutumée
Vive le Roi,
Et sans qu’on lui fît violence
Par le tricot
On eût vu toute l’assistance
Ne dire mot.
Le Roi laisse enfin nos murailles,
De tout content.
Il prend le chemin de Versailles ;
Chaque habitant
Vient au devant et lui fait fête
En grand arroi,
Sans pourtant crier à tue-tête
Vive le Roi.
Mais il ne fut pas à Versailles
Deux ou trois jours
Qu’il songe, oubliant la prétraille,
A ses amours.
Quoi ! faudra-t-il que je languisse
Quand Châteauroux
Qui fit et qui fait mon délice
Est près de nous.
Si j’ai fait de m’éloigner d’elle
Un vrai serment,
J’étais troublé de la cervelle
Assurément,
Car je n’en ai nulle mémoire,
Et c’est Soissons
Sûrement qui m’en fait accroire
Par ses sermons.
Qu’on aille de ce pas vers elle
La supplier
De me pardonner mon faux zèle,
De l’oublier :
Qu’elle vienne en ma compagnie
Et dès ce soir,
Qu’on lui dise que je m’ennuie
De la revoir.
Maurepas pour ce beau message
Part sur-le-champ
Avec un superbe équipage.
Dès qu’on l’entend
Certaine émotion subite
Tant la saisit
Qu’elle en devint toute interdite,
Son teint pâlit.
Honteux comme un fondeur de cloche
Le Maurepas
Remet son compliment en poche
Qu’il ne sait pas ;
Jugez qu’il avait bonne mine,
Pâle et défait ;
Il remonte dans sa berline,
Tout stupéfait.
Il vint annoncer la nouvelle
A basse voix
Et dit qu’il a laissé la belle
Presqu’aux abois.
On dépêche au plus vite un page,
Une heure après
Un autre, pour même message,
Part tout exprès.
Il dit qu’une fièvre maligne
S’en empara,
Qu’elle se meurt, qu’elle en fait signe,
Qu’on la coucha,
D’un grand froid se saisissant d’elle,
Qu’on a grand peur
Et que promptement on appelle
Un confesseur.
Pas un seul n’avait cet office
Dans tout Paris,
Mais le curé de Saint-Sulpice
Fut averti.
Il vint, la trouva si malade
Qu’il demanda qu’on fit venir un camarade,
Ségaud aida.
Ségaud, prédicateur insigne,
Par dits touchants
La rend enfin à peu près digne
Des sacrements.
Le mardi, premier de décembre,
Diligemment
Elle les reçut dans sa chambre
Dévotement.
Elle promit à l’assistance
Les yeux penchés
Qu’elle allait faire pénitence
De ses péchés
Et que si Dieu lui rend la vie,
Tout son emploi
Sera de pleurer sans envie
De voir le Roi.
A vingt-sept ans, c’est grand dommage
En vérité
Pour qui posède l’avantage
De la beauté,
Pour qui sut se rendre maîtresse
Du cœur d’un Roi,
Pour qui si tôt s’est vue duchesse,
Triste convoi !
La fièvre maligne redouble
Le treize jour,
Et sonpauvre cerveau se trouble :
Plus de retour ;
D’une faiblesse elle est suivie ;
D’une autre encor
Elle tombe en paralysie,
D’où suit la mort.
Les dévots vont crier miracle
Assurément,
Mais je pleure d’un tel spectacle
Amèrement.
Et telle qui blâme sa vie,
Il est constant
Que dans l’âme elle aurait envie
D’en faire autant.
Le Roi, triste comme on peut croire
De cette mort,
Paraissait être d’humeur noire.
Avait-il tort ?
Quand on a perdu ce qu’on aime
De tout son cœur,
Qui peut sans une gêne extrême
N’être rêveur ?
Pour chasser sa mélancolie
A Trianon
Notre Roi mène compagnie,
Bonne dit-on ;
Mais dès la seconde journée
On sait en cour
Que par la mort est moissonnée la Ventadour.
A quatre-vingt-onze ans sa Mie,
Bonne maman,
Passe d’ici dans l’autre vie
Bien à son dam ;
Car notre Sire a le cœur tendre
Et n’oublie pas
Qu’autrefois elle a su le prendre
Entre ses bras.
De la Flandre la gouvernante
Par son trépas
Laisse cette place vacante
Aux Pays-Bas.
Son enfant qu’un accoucheur tire
Avec effort
Lui fait souffrir un long martyre,
Et puis la mort.
Pour finir l’an quarante-quatre,
Deux puissants forts
Par deux grands se vont voir abattre
Sans justaucorps.
Ce sontRochechouart, Modène
Qi tomberont,
Toutes eux soumises sans peine
Et sans affront.
Mazarine Castries 3989, p.78-111