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Les Édits de Turgot

Les édits de Turgot1

Enfin j'ons vu les édits
Du roi Louis seize ;
En les lisant à Paris,
J’ons cru mourir d’aise ;
Nos malheurs ont eu leur fin,
Çà chantons le verre en main2 :
Vive Louis seize,
O gué,
Vive Louis seize !

Je n’irons plus aux chemins,
Comme à la galère,
Travailler soir et matin
Sans aucun salaire ;
Le Roi, je ne mentons pas,
A mis la corvée à bas :
Oh ! la bonne affaire
O gué,
Oh ! la bonne affaire.

Qu’à son âge notre Roi
Paraît déjà brave ;
Il veut que chacun chez soi
Ne soit plus esclave ;
Et que j’ayons tous bientôt
Lard et poule en notre pot,
Et du vin en cave,
O gué,
Et du vin en cave.

Il ne tient qu’à nous demain,
En toute franchise,
D’aller vendre bière et vin,
Tout à notre guise ;
Chacun peut, de son métier,
Vivre aujourd’hui sans payer
Jurés, ni maîtrise,
O gué,
Jurés ni maîtrise.

On dit que le Parlement,
Dedans cette affaire,
Aux vœux du Roi bienfaisant
Se rendit contraire3 .
Du peuple pauvre et souffrant,
Le père, il se dit pourtant :
Le beau fichu père,
O gué,
Le beau fichu père !

Je suis tout émerveillé
De ceci, compère ;
C’est un double jubilé
Que nous allons faire :
Mais celui que notre Roi
Nous donne vaut bien, ma foi,
Celui du Saint-Père,
O gué,
Celui du Saint-Père.

  • 1Quelque poétriot peu ami des parlements avait composé à l’occasion des édits la chanson suivante dont on s’amusait dans les sociétés (Hardy) - Couplets attribués à M. de Lagny, commis des finances. (M.) — Dès le mois de janvier 1776, Turgot avait présenté au Roi un mémoire sur la suppression des corvées et des jurandes. En dépit des critiques adressées par le garde des Sceaux à ce projet, le Roi se rangea à l’opinion du contrôleur général et les édits approuvés par lui furent adressés au Parlement pour être enregistrés. « Personne ne paraissait douter que le jeune monarque n’eût les meilleures intentions du monde : on assurait même qu’il disait naïvement : M. Turgot et moi, sommes les seuls qui désirions le bonheur du peuple, mais on n’en craignait pas moins que ses successeurs ne vinssent à abuser un jour de tout ce qu’il aurait cru faire pour le soulagement de ses sujets ». (Journal de Hardy.) (R)
  • 2Hardy rapporte quelques faits qui témoignent de l’enthousiasme provoqué par la publication des nouveaux édits : « On vit, dit‑il, entre neuf et dix heures du soir (le 17 mars), des illuminations dans plusieurs quartiers de Paris ; entre autres endroits chez un horloger, rue Galande, rue Saint‑Victor, de la part de quelques garçons boulangers ; rue Saint‑Nicolas‑du‑Chardonnet, par des compagnons couvreurs, sur le quai des Morfondus on lisait en transparent ces mots : Vivent le Roi et la liberté ! » (R)
  • 3 Le Parlement, lésé dans ses intérêts par les réformes de Turgot, avait adressé des remontrances au Roi au sujet des, édits qu’il devait enregistrer. Il s’était montré le défenseur résolu des corvées et des jurandes. Pour triompher de son opposition il fallut recourir à un lit de justice (12 mars) ; ce qui faisait dire à Walpole, justement indigné : « La résistance du Parlement à l’admirable réforme préparée par Turgot et Malesherbes est plus scandaleuse que le plus féroce caprice du despotisme. Ces magistrats, qui s’opposent au bonheur de plusieurs millions d’hommes, ont à moitié absous le chancelier Maupeou de les avoir opprimés. » (R)

Numéro
$1415


Année
1776

Auteur
Lagny, commis des finances



Références

Raunié, IX,82-85 - F.Fr.13652, p.327-29 - CLS, 1776, p.112-13 - CSPL, III, 36-38 - Hardy, IV, 507