Necker et Sartine1
Dans le pays des perfidies,
Dans le séjour si renommé
Pour les horreurs et la folie,
On vit hier la Vérité
Se présenter en cul-de-lampe.
Heureuse encor quand elle peut
Se faire voir dans une estampe,
Même au monarque qui la veut.
Elle arriva, c’était au jeu,
Portée par qui ? Lecteur, devine :
Ce n’était par mons de Sartine
Ni par l’ami du franc-alleu2 …
Ni Maurepas, ni de Vergennes.
Par Amelot ? Assurément
En pourrait-il prendre la peine ?
Par Montbarrey ?… Toujours il ment.
Ce n’était pas par un dévot
Ni par un personnage grave,
Mais par un évêque, en un mot.
Il n’est ni Français, ni Batave,
Ni chrétien, ni musulman,
Ni jésuite, ni protestant,
Portant de Rome la barrette3 ,
Ne croyant point en Jésus-Christ,
Pas mieux à la vertu des dames,
De notre siècle l’Antéchrist,
L’anti-convertisseur des dames,
Enfin un prince dont le siège
Est plus éloigné de Liège
Que l’espion de Phalsbourg,
Richard, n’était de Strasbourg.
L’estampe représentait
Monsieur Necker grattant la boue ;
De cette boue il provenait
De gros écus faisant la roue ;
L’adroit Sartine les prenant
En jouait sur Ia rivière
Aux ricochets comme un enfant ;
La boue est la gent financière4
Que dégraissait le directeur.
La rivière, ami lecteur,
C’était la mer qui nous dévore.

• 1« Il paraît une estampe représentant M. Necker fouillant dans la fange et dans le ruisseau avec un bâton. Il en fait sortir des écus ; à côté est M. de Sartine, qui les ramasse pour en faire des ricochets sur l’eau à la manière des enfants. L’apologue s’explique sans commentaire. » (Correspondance secrète de Métra.) (R)
• 2M. Necker. (M) (R)
• 3Il manque ici un vers qui ne figure pas dans les Recueils. (R)
• 4Deux réformes importantes opérées par Necker au commencement de 1780, avaient atteint directement les financiers : la réduction du nombre des fermiers généraux (janvier) et celle des receveurs généraux (avril). (R)