Molé ou le singe de Nicolet
Molé ou le singe de Nicolet1
Quel est ce gentil animal
Qui, dans ces jours de carnaval,
Tourne à Paris toutes les têtes,
Et pour qui l’on donne des fêtes ?
Ce ne peut être que Molet,
Ou le singe de Nicolet2
,
Vous eûtes, éternels badauds,
Vos pantins et vos Ramponneaux :
Français, vous serez toujours dupes.
Quel autre joujou vous occupe ?
Ce ne peut être que Molet
Ou le singe de Nicolet.
De sa nature cependant,
Cet animal est impudent.
Mais, dans ce siècle de licence,
La fortune suit l’insolence
Et court du logis de Molet
Chez le singe de Nicolet.
Il faut le voir sur les genoux
De quelques belles aux yeux doux,
Les charmer par sa gentillesse,
Leur faire cent tours de souplesse.
Ce ne peut être que Molet
Ou le singe de Nicolet.
L’animal, un peu libertin,
Tombe malade un beau matin,
Voilà tout Paris dans la peine ;
On crut voir la mort de Turenne,
Ce n’était pourtant que Molet
Ou le singe de Nicolet.
La digne et sublime Clairon
De la fille d’Agamemnon
A changé l’urne en tirelire,
Et, dans la pitié qu’elle inspire,
Va partout quêtant pour Molet3
,
A la cour, et chez Nicolet.
Généraux, catins, magistrats,
Grands écrivains, pieux prélats,
Femmes de cour bien affligées,
Vont tous lui porter des dragées.
Ce ne peut être que Molet
Ou le singe de Nicolet.
Si la mort étendait son deuil
Ou sur Voltaire, ou sur Choiseul,
Paris serait moins en alarmes
Et répandrait bien moins de larmes
Que n’en ferait verser Molet
Ou le singe de Nicolet.
Peuple, ami des colifichets,
Qui portes toujours des hochets,
Rends grâces à la Providence
Qui, pour amuser ton enfance,
Te conserve aujourd’hui Molet
Et le singe de Nicolet.
- 1 M. le chevalier de Boufflers s’est égayé sur le compte de Molé par ces couplets. — Le refrain de cette dernière chanson est une allusion à un spectacle de foire où tout Paris courait de préférence à tout autre. (M.)(R)
- 2Chef d’une troupe de bateleurs en possession d’un singe très singulier qui a amusé tout Paris pendant plusieurs années. (F.Fr.15136) « Le singe de Nicolet, qui fait depuis un an l’admiration de Paris, en dansant sur la corde à l’envi de son maître, le seigneur Spinaculta, ce singe ne manqua pas de faire la parodie. On annonça qu’il était malade. Le parterre demanda de ses nouvelles, et l’on fit une souscription et mille autres pauvretés de cette espèce. » (CLG)
- 3Les comédiens français accordèrent une représentation au profit de Molé pour payer ses dettes et la demoiselle Clairon fit une quête à ce sujet. (M.) — Comme on. a pu le voir ci‑dessus, elle quêtait en noble compagnie.(R)
Raunié, VIII,85-87 - Mémoires secrets, II, 709-10 - F.Fr.15136, p.300-02