Épître au prince de Tingry
Épître au prince de Tingry
Prince, qu’espères-tu ! qu’attends-tu ! que veux-tu !
La France ne connaît que les exploits du cul.
En vain de tes aïeux tu veux suivre les traces ;
La bravoure aujourd’hui n’est plus source des grâces ;
Deviens un fat, un bougre, un perfide, un coquin,
Ou fais de ta compagne une adroite catin,
Je réponds de ta gloire. Adore l’injustice,
A l’innocent trahi ne te rends pas propice,
Honore Duvernay, respecte la de Prie,
Elle a sous son jupon les dons du Saint-Esprit1
.
Là, sous de belles fleurs, symbole d’innocence,
Croissent les pensions, les bâtons, la finance ;
Là, deux nymphes sans fard règlent seules l’État
Et des moindres zéphyrs punissent l’attentat2
;
Du plus rude hiver on ne craint point l’outrage
Et les plaisirs y sont le plus pénible ouvrage.
De cet avis, seigneur, profite sagement ;
La fortune est à toi, dis un mot seulement ;
Car, enfin, n’attends pas qu’un honneur chimérique
T’élève aux dignités sous un règne lubrique.
En ce monde, chacun recherche ses pareils,
Prince, c’est assez dire ; adieu, suis mes conseils.
- 1A propos de la nomination des cordons bleus du mois de février 1724, dans laquelle il ne fut pas compris. Marais constate que « le prince de Tingry est des plus fâchés de n’y point être ; mais son nom, brouillé dans l’affaire de La Jonchère, lui a toujours nui et lui nuira toujours pour les dignités. Voilà ce que c’est que d’aimer trop l’argent, et quel vice à un homme de cette condition. » (R)
- 2Pour l’intelligence de ces derniers vers il faut lire Mauriceau, Traité des accouchements, qui nous assure que le moindre air, reçu de la matrice, cause des révolutions extraordinaires et que les nymphes servent à en défendre l’entrée (M.) (R)
Raunié, V 8-9 - Clairambault, F.Fr.12699, p.163-64 - Maurepas, F.Fr.12631, p.217-18