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Le Départ du prince de Conti

Le départ du prince de Conti1
Accourez tous, peuple français,
Admirez le sang de nos rois,
Louis-Armand, plein de courage,
En Espagne va faire rage2 ,
Partout il porte la frayeur,
Philippe3 même en aura peur.

Ce fut mardi, neuvième mai,
Que du matin s'étant levé
Avec une équivoque mine,
Il monta dedans la berline
Accompagné du cher Marton,
De Lanoue4 et de Clermont5

Le lundi, veille du départ,
Il fut en habit de soudard
A l'Opéra, la Comédie,
Et puis après aux Tuileries.
Chacun disait tout à l'entour
Qu'il a de l'air de Luxembourg.

Il dit : Monsieur le Régent
Vous en aurez pour votre argent6  ;
Par le calcul de La Chapelle
Je connais le prix de mon zèle,
Et combien pour mille ducats,
Pour vous je dois faire de pas.

Il dit au roi d'un air touché :
Mon maître, je suis bien fâché
D'être obligé, cette campagne,
De combattre le roi d'Espagne ;
Mais, sire, c'est pour votre bien,
Chacun le sait, et pour le sien.

Pour vous quitter j'ai combattu,
Enfin Marton a prévalu,
Dit le prince à sa chère femme,
Mais qu'il vous souvienne, Madame,
En l'absence de votre époux,
Qu'il faut craindre un mari jaloux7 .

A sa mère il dit tout dolent :
Ne pleurez pas ; chère maman,
Je reviendrai couvert de gloire,
Mon confident fait mon histoire.
Vous savez que fort joliment
Il sait composer un roman8 .

Avant que de quitter ces lieux
A tous il a fait ses adieux
Avec une douleur amère,
Au roi, au Régent, à sa mère,
A sa femme, à sa soeur aussi,
Et à madame de Soucy9 .

Pour les filles de l'Opéra,
Le prince n'en fait plus de cas,
Depuis certaine gentillesse
Dont il cuisit à Son Altesse10 ,
Que Chirac11 a fort bien traitée,
Mais qu'à sa femme il a donnée.

Or prions tous, d'un humble coeur,
Notre adorable Rédempteur,
Qu'il fasse par sa Providence
Que tout aille au gré de la France,
Et qu'un jour notre roi majeur
Récompense ce serviteur.

  • 1Autre titre: Chanson sur les adieux de M. le prince de Conti lorsqu’il partit pour aller servir en Espagne au mois de mai 1719 (Arsenal 3132)
  • 2La déclaration de guerre à l’Espagne avait été résolue dans le Conseil de Régence le 2 janvier 1719 et publiée le 9. (R)
  • 3Philippe V, roi d’Espagne. (R)
  • 4M. de Lanoue‑Langey, ancien mestre de camp, lieutenant du régiment de cavalerie Conti, fut nommé en mars 1719 brigadier de cavalerie. (R)
  • 5Le marquis de Clermont, capitaine des Suisses du duc d’Orléans. (R)
  • 6« M. le prince de Conti obtint d’être fait lieutenant général, de servir dans l’armée du duc de Berwick et d’y commander la cavalerie. Il s’y montra étrangement dissemblable à monsieur son père et au sang bourbon, jusque‑là que toutes les troupes, jusqu’aux soldats, n’en purent retenir leur scandale. Sa conduite, d’ailleurs, ne répara rien, et jusqu’à beaucoup d’esprit qu’il avait lui tourna à malheur. Il eut cent cinquante mille livres de gratification et beaucoup d’argent en présent. Il se fit encore payer ses postes, qu’il courut avec une partie de sa suite aux dépens du roi, tant en allant qu’en revenant. » (Saint-Simon.) Ces profits furent, comme le remarque finement Duclos, « tout ce qu’il recueillit de gloire de sa campagne. » (R)
  • 7« Il y avait souvent des scènes entre M. le prince et Mme la princesse de Conti, laquelle ne s’en contraignait guère, et qui lui disait devant le monde qu’il n’avait que faire de vouloir tant montrer son autorité sur elle, parce qu’il était bon qu’il sût qu’il ne pouvait pas faire un prince du sang sans elle, au lieu qu’elle en pouvait faire sans lui. » (Saint-Simon.)
  • 8La Chapelle avait composé des Mémoires historiques sur Armand de Bourbon, prince de Conti, et des romans poétiques sur les Amours de Catulle et de Tibulle. (R)
  • 9Sa maîtresse. (M.) (R)
  • 10Les relations trop intimes avec les actrices de l’Opéra présentaient alors de graves inconvénients ; comme le prince de Conti, le comte de Charolais l’apprit bientôt à ses dépens, mais la Souris, à laquelle il attribuait l’origine de la gentillesse, fut expulsée de Paris. (R)
  • 11Pierre Chirac (1650‑1732), d’abord professeur à la Faculté de médecine de Montpellier, puis médecin du Régent, obtint à Paris une vogue prodigieuse. Il fut surintendant du Jardin des Plantes et premier médecin de Louis XV, qui l’anoblit. (R)

Numéro
$0331


Année
1719 (Castries)




Références

Raunié, III,123-26 - Clairambault, F.Fr.12697, p.191-93 - Maurepas, F.Fr.12630, p.9-11 - F.Fr.12673, p.286-90 - F.Fr.15131, p.225-29 - Arsenal 2930, p.309-13 - Arsenal 2961, p.529-32 - Arsenal  3115, f°182v-183v - Arsenal 3132, p.410-13 - Mazarine, MS 2163, p.407-11 - Mazarine  Castries 3982, p. 279-85 - Toulouse BM, MS 855, f°146r-148r