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Le Conseil supérieur de Blois

Le conseil supérieur de Blois1
Or écoutez, petits et grands,
Le plus grand des événements :
On en parlera dans l’histoire ;
A peine pourra-t-on le croire,
Car si je ne l’avais pas vu,
Jamais je n’en aurais rien cru.

Le samedi, deux de ce mois,
Nous sommes tous venus à Blois,
Pour y contempler la merveille
De notre souverain Conseil ;
Et nous avons, en vérité,
Tous été bien émerveillés.

Nous avons vu des magistrats
En robes rouges et rabats,
Parés comme les jours de fête ;
Saint Michel était à leur tête ;
Après marchaient deux présidents,
Suivis d’onze honnêtes gens.

Preuve de leur honnêteté
Et qu’ils étaient bien élevés,
Ils faisaient force révérence,
Comme à la noce, quand on danse.
Enfin, par leurs provisions,
On voit qu’ils étaient bons garçons.

Pour attirer le Saint-Esprit
Sur des gens aussi bien appris,
La messe en pompe fut chantée,
Par la musique bien notée ;
Mais l’Esprit-Saint n’est pas venu,
Du moins nous ne l’avons pas vu.

C’était un grand jour de marche,
Que nos conseillers bien frisés
Défilaient le long de la place ;
Mais plus d’un faisait la grimace
De ce qu’ils n’étaient pas assez
Pour former le nombre annoncé.

Nous souffrions de l’embarras
De ce vénérable Sénat :
Mais, par une heureuse aventure,
Nous avions plus d’une monture,
Et chacune certainement
Était bâtée superbement.

Dès que le souverain conseil
Sortit avec son appareil,
Nos ânes, voyant leurs confrères,
Se mirent aussitôt à braire,
Et demandèrent à grands cris
Qu’en la troupe ils fussent admis.

Indépendamment de la voix,
Il était bon de faire un choix,
Pour éviter la bigarrure
Parmi cette magistrature ;
Les plus rouges furent choisis
Comme étant les mieux assortis.

Les ânes, ayant pris leur rang,
Fermèrent la marche à l’instant.
Je passe les cérémonies
Que firent les deux compagnies.
La ville, en cette occasion,
Marqua sa satisfaction2 .

Or donc, de nos vingt conseillers
On vit d’abord les six derniers
S’en retourner à leur village,
Criant, dans leur noble langage,
Que, vu le poids de leurs fonctions,
Ils donnaient leurs démissions.

Vous voyez qu’il ne restait plus
Que quatorze ânes tout au plus :
Mais surtout où le bât les blesse,
Prodige de délicatesse !
Huit autres encore ont quitté
Et six seulement sont restés.

Tout ceci, retenez-le bien,
Fait leçon pour les gens de bien,
Dans une pareille occurrence.
Monsieur le chancelier de France
Mérite bien tous nos respects
D’avoir pris d’aussi bons sujets.

  • 1Relation de la première séance du Conseil supérieur de Blois, tenue le 2 mars. — Par le maître d’école de Chouzi, près Blois. (Mémoires secrets) (R)
  • 2Voy. la Gazette de France du 8 mars 1771. (M.) (R)

Numéro
$1302


Année
1771

Auteur
maître d’école de Chouzi, près de Blois



Références

Raunié, VIII,216-19 - Mémoires secrets, III, 1477-79