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La Confession, ou Dialogue entre Apollon et une Muse

La Confession ou Dialogue entre Apollon et une Muse

 

Apollon

Que je vois d’abus

De gens intrus.

Ici, ma chère,

Depuis vingt-cinq ans

Qu’en pourpoint1 j’ai couru les champs

Comment y monta le téméraire,

Qu’on nomme Voltaire ?

 

La Muse

Joli sansonnet,

Bon perroquet,

Dès la lisière

Le petit fripon

D’abord eut le vol du chapon.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Il fit le méchant,

Le chien couchant,

Le réfractaire,

Et selon les temps

Montra le derrière2 ou les dents.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Le rimeur en fat,

L’homme d’État,

Le populaire,

Le fin courtisan,

Le charlatan,

Le geai du paon.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Croyant en plein air

Voler de pair

Avec Homère,

Il rima Sully

Et crayonna le grand Henri.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Des drames pillés3

Et rhabillés

A sa manière,

Mais trop étayés

Du parterre, bien soudoyé4

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

L’histoire d’un roi5

Qui par ma foi

N’y gagne guère,

Car il y paraît

Aussi fou que l’écrivain l’est.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Une satire6

Le maître fou

Gaiment s’ingère

Etre en ce pays

Votre maéchal des logis.


Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Il philosopha7 ,

Apostropha

Ce u’on révère

Saisissant l’écrit

Thémis une allumette en fit.

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Croyant à Newton

Donner le ton

Sur la lumière8

Son mauvais propos l’a replongé

Dans le chaos. 

 

Apollon

Que fit ensuite le Téméraire ?

Répondez, ma chère.

 

La Muse

Il fait et refait9

Ce qu’il a fait,

Ce qu’il voit faire.

Subtil éditeur10 ,

Grand copiste11 , jamais auteur.

 

Apollon

J’ordonne lorsque le plagiare

Sera dans la bière,

 

Qu’on porte soudain

Cet écrivain au cimetière

Dit communément

Les charniers de Saint-Innocent

Et qu’il soit écrit dessus la pierre

Par mon secrétaire

 

Ci-dessous gît qui

Droit comme un J

Eût perdu terre

Si de Montfaucon

Le croc était sur l’Hélicon.

  • 1L’auteur a voulu marquer le mauvais équipage où nos auteurs par leur ignorance dans leur art, font paraître ce dieu depuis vingt-cinq ans.
  • 2On a voulu faire entendre par ce vers que Voltaire a fui devant le bâton lorsqu’il avait lieu de craindre et qu’il a su faire le mauvais devant plus faible que lui.
  • 3Les poèmes qu’on l’accuse d’avoir pillés sont ceux de Corneille dans l’Oedipe, du marquis Maffei dans Mérope, et autres.
  • 4On veut que pour être applaudi, il distribue aux premières représentations de ses pièces un grand nombre de billets gratis.
  • 5L’hisstoire du roi de Suède Charles XII.
  • 6Le Temple du goût.
  • 7Les Lettres philosophiques brûlées par arrêt du Parlement.
  • 8Voltaire, dans un ouvrage qu’il a fait sur l’optique, condamne le sentiment de Newton sur la lumière.
  • 9Il a toujours fait beaucoup de changements dans ses ouvrages après les avoir donnés à l’imprimeur et au public.
  • 10Les changements que Voltaire a fait dans ses différent ouvrages ont produit de nouvelles éditions corrigées et augmentées, et par conséquent de nouveaux profits pour l’auteur.
  • 11Voltaire a vendu ses ouvrages en Hollande, en Angleterre, en Flandres en même temps.

Numéro
$6604


Année
1744

Auteur
Piron



Références

F.Fr.15140, p.188-92 - Mazarine Castries 3988, p.343-48 - Poésies satyriques, p.19-26


Notes

Une autre version en $3647