Un Repas de carême
Un repas de carême1
La déesse du carême
Préparait un grand repas ;
Par une rigueur extrême,
La police ne veut pas
Qu’un teint si blême,
Dans Paris, du mardi gras
Soit l’emblème.
Avec raison on regrette
Des plaisirs évanouis.
La dépense, toute faite,
Ne montait qu’à cinq louis ;
Sous chaque assiette,
L’on aurait eu, tout compris,
Chère complète.
Le spectacle sans licence
Devait être exécuté ;
Les ris, la table et la danse
Auraient réduit la gaîté
A l’abstinence,
Et l’on aurait pris Duthé
Par continence.
Vénus prétend qu’à Cythère
On fait gras dans tous les temps ;
Elle voit avec colère
Qu’on impose à ses enfants
Un joug austère,
Et voudrait les rendre exempts
De l’ordinaire.
Règle-t-on comme au collège
Les prêtresses de l’amour ?
Elles ont le privilège
De s’amuser nuit et jour :
La friandise,
Pour sucer les gens de cour,
Leur est permise.
La raison de cette fête
Avait réglé les apprêts ;
Le souper était honnête,
L’on pouvait aller après
En tête-à-tête,
Et renoncer aux poulets
Pour une arête.
Dans ces abondantes sources
L’indigence puisera ;
L’amour a plus de ressources
Que la charité n’en a.
Sans grandes courses,
Nos quêteuses d’Opéra
Trouvent des bourses2
.
- 1Couplets sur une fête que les Demoiselles de l’Opéra devaient donner pendant le carème au Wauxhal et dont les billets, du prix de cinq louis, devraient tourner au bénéfice de plusieurs filles à marier, fête qui n’eut pas lieu.(F.Fr.13653) - « Deux de nos belles de la première classe avaient projeté pour le commencement du carême un bal auquel M. le comte d’Artois avait promis de se trouver. Tout à coup il est survenu une défense du Roi qui a fait évanouir ces idées de plaisir. Avant le bal, on aurait joué la comédie ; ce devait être une fête très brillante, et Mlle Guimard, qui est d’une maigreur extraordinaire, en aurait partagé les honneurs avec Mlle Duthé. Soixante‑cinq souscripteurs avaient donné chacun cinq louis pour cette fête, dont les apprêts devenus inutiles ont été distribués aux pauvres. On a fait à ce sujet cette chanson. » (CSLP) (R)
- 2« La demoiselle Dervieux, en sa qualité de surintendante, présidant au repas, d'après les défenses du Roi, a fait porter tout le festin au curé de Saint‑Roch, pour être distribué aux pauvres de la paroisse. On nomme plaisamment ce repas le Repas des chevaliers de Saint-Louis à cause des cinq louis d’écot que chacun payait. » (Mémoires secrets) - Ce sont d'assez plates polissonneries, mais elles font connaître le train de vie et le ton de ces sociétés tant vantées (CSPL)
Raunié, IX,89-91 - F.Fr.13653, p.17 - CSPL, III, 1-3