Portrait d'un journaliste
Portrait d’un journaliste
(C’est lui qui parle)
Impertinent, vous osez plaire
Tandis que moi je suis honni !
Et vous espérez, téméraire,
Qu’un tel forfait reste impuni !
Point de quartier, mon cher confrère,
Vous me paierez cher celui-ci.
Si j’ai, d’un œil plus adouci,
Vu triompher le vieux Voltaire,
Malgré ma morgue et mon souci,
J’étais forcé d’agir ainsi.
Dans ma gazette littéraire,
Je n’ai fait grâce encor qu’à lui.
Mais vous, petit rimeur vulgaire,
Quand votre ouvrage a réussi,
Quand tout succès me désespère
De vos travaux juge arbitraire,
J’irais vous applaudir ? nenni,
Grâce au goût divin qui m’éclaire,
Je suis en état, Dieu merci,
De vous convaincre du contraire.
Patience, laissez-moi faire :
Je veux que le sifflet aussi
Soit désormais votre salaire.
Par ma lunette atrabilaire
Votre mérite rétréci
Ne paraîtra qu’une chimère.
Et peut-être dans ma colère,
Avec ma justesse ordinaire,
A vos lecteurs vais-je prouver
Que votre écrit ne se lit guère,
Qu’il faut être un sot pour le faire,
Et plus encor pour l’approuver ?
Quoique partout chacun me fronde,
Je pourrai démontrer, je crois,
Qu’il faut qu’on siffle tout le monde
Et qu’on n’admire enfin que moi.
CSPL, VII, 180-83